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Compte-rendu rapide de mon intervention au colloque international de l’université de Lorraine

Voici une rapide synthèse de mon intervention au colloque international de l’Université de Lorraine en date du 5 et 6 avril 2017 sur le thème: Radicalité(s), radicalisme(s), radicalisation(s) et violence(s).

Le temps de parole était fixé à 30 minutes, par conséquent il a fallu aller à l’essentiel rapidement.

J’ai voulu mettre en lumière l’utilisation, chez les principaux producteurs de discours (médias, politiques, opinion collective, sciences), d’une terminologie non adaptée pour traiter les questions liées au radicalisme et à la radicalisation en lien avec l’islam en France.

Par la même occasion, en seconde partie, j’ai voulu exposer le fait que l’utilisation de cette terminologie non adaptée pouvait générer des biais fondamentaux dans les analyses en « sous-exprimant » la notion d’identité (nous) et donc la manière dont nous construisons la radicalité; tout en « sur-exprimant » la notion d’altérité (eux) considérée excessivement comme exogène.

1) La terminologie

J’expose 3 types d’insuffisances terminologiques:

  • Terminologie sans consensus définitionnel

Ici les termes n’ont pas de sens précis ni fixe. Islamiste, radicalisme, extrémisme, fondamentalisme et d’autres termes couramment utilisés sont en réalité flous et avec des définitions extrêmement subjectives. Exemple, islamiste peut désigner un partisan de « l’islam politique » (au passage qu’est ce que l’islam politique?) tout comme il peut désigner tout ce qu’il y a de répréhensible ou d’inadmissible aux yeux de l’utilisateur du terme vis à vis du fait musulman.

De la même manière, « radical » est tout aussi ambiguë. D’un côté il pourrait désigner l’idée de « retour à la racine » donc comprenez: relatif aux fondements de l’islam; d’un autre coté il pourrait renvoyer plutôt à des pratiques radicales donc excessives ou extrêmes. Quoi qu’il en soit, dans la majeure partie des cas, non seulement les utilisateurs ne précisent jamais sous quel sens il faudrait comprendre l’utilisation qu’ils font du terme et en plus le récepteur n’en fait généralement pas non plus la demande. La notion est faussement évidente. Il y a là un flou non négligeable.

En outre, le radical comme « retour à la racine », terme exclusivement péjoratif, laisse présupposer un islam foncièrement négatif ou violent, ce qui pose des problèmes évident de neutralité axiologique (neutralité des idées et du chercheur). Le radical comme posture excessive ou extrême quant à lui ne fait jamais mention des repères de la normalité, de la norme et des seuils d’acceptabilité: rien n’est jamais excessif face à rien mais toujours par rapport à quelque chose. Ici quelle est cette « chose »?

  • Terminologie réduite à une ponctuation.

Les termes sans définition ni substance mais fortement teintés de subjectivisme n’agissent pas comme des intermédiaires vers des concepts clairs mais comme des intermédiaires vers des impressions. Il en ressort une terminologie qui donne une orientation à la phrase (orientation toujours négative) sans pour autant lui donner de sens. Par exemple, évoquer un islamiste est déjà négatif. Mais évoquer un islamiste radical salafiste fondamentaliste extrémiste intégriste djihadiste, cela semble définitivement pire même si tout cela ne veut finalement strictement rien dire. Les termes agissent simplement comme une ponctuation renforçant les impressions.

  • Terminologie exclusivement accusatrice.

La construction des termes ou ses utilisations mettent à mal les postures de neutralité à travers un positionnement presque évolutionniste.

Le terme « islamiste » semble renvoyer vers quelque chose de négatif. Pour autant, nous n’entendons jamais parler de « juifiste », de « judéiste » ou de « christianiste ». La construction du terme n’est valable que pour l’islam.

Idem pour le « djihadisme » qui donne l’illusion d’une violence spécifique à l’islam et qui coupe le phénomène d’une réalité ou d’une mécanique plus générale, « rattachable » à des mouvements globaux ou historiques en lien avec la politique, la géopolitique, l’histoire etc. Pourquoi ne pas parler d’activisme violent par exemple, terme qui serait valable également pour d’autres mouvement (régionalisme, séparatisme etc) au lieu de créer un terme qui positionne les débats autour de l’islam, alors que la religion est une donnée faussement centrale?

2) Sous expression de la radicalité, sur expression de l’altérité.

Rapidement, j’ai voulu mettre en lumière le fait que l’utilisation de cette terminologie avait pour résultat:

  • d’occulter la notion de radicalité en lui donnant une perspective naturelle et essentielle alors qu’en réalité c’est le fruit d’une construction. La terminologie vient neutraliser l’aspect social, sociétal de l’activisme violent en France avec tout ce qui peut graviter autour.
  • En outre, cette terminologie renforce l’idée illusoire d’une altérité antagoniste foncièrement exogène (le radical vient forcement d’ailleurs, de l’étranger). Nous nous concentrons sur l’autre en évacuant l’idée que cet « autre » vient, dans bien des cas, de nous (Merah, Coulibaly, Kouachi…)

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

Cet article a 2 commentaires

  1. Mathias

    Intéressant en effet, du coup, selon toi, est-ce que cette mauvaise terminologie « cache » une certaine islamophobie de nos institutions ou c’est juste une erreur qui est dû à une pauvreté de l’analyse sur le phénomène (ou les deux à la fois d’ailleurs) ?

    1. Redwane

      Merci Mathias. Merci pour ta question.

      Pour y répondre rapidement (et tardivement je m’en excuse), une motivation strictement islamophobe est indéfendable. La dynamique est plus complexe.
      Quant à la pauvreté de l’analyse, elle est certaine mais là encore, prise seule, l’explication est insuffisante.

      Il y a une terminologie certes faible et biaisée qui en rencontre une autre plus teintée d’ethnocentrisme mais les deux se conjuguent en fonction de trois raisons: un journalisme comme art du spectacle dont l’objectif premier est financier (l’islam source de violence est plus vendeur que l’islam comme voie vers la connaissance de soi) et qui n’hésite pas à tout faire pour maximiser les profits / une sphère scientifique arrivée tardivement sur la problématique de la radicalisation et qui s’est inconsciemment placée en position de « suiveur » vis-à-vis du journalisme pour tenter de rattraper son retard mais en faisant l’erreur de reprendre la terminologie médiatique biaisée sans la deconstruire / la parole donnée à certains « philosophes de télé » ouvertement hostiles à l’islam dont le rôle est d’aller dans le sens de l’opinion et de l’imaginaire collectif à propos de la religion musulmane.
      De ce fait cette terminologie de faible qualité est à la fois fruit d’une « pauvreté » analytique pour reprendre tes termes, et en même temps fruit d’une hostilité ouverte et décomplexée. Ta supposition était donc correcte.

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