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Construction de la perception radicale : quartiers, islam, politiques et médias

Le dernier extrait de mon mémoire publié dans le billet précédant concluait par une question : comment notre perception actuelle de l’islam est-elle, en plus d’être liée à des facteurs émotionnels et symboliques soulignés précédemment, liée à des éléments socio-historiques?

Ces éléments socio-historiques sont non seulement utiles pour poser les bases d’une contextualité économique, sociologique et géographique à la thématique qui nous intéresse, mais aussi parce que la résultante de ces conditions, notamment vis-à-vis des grands ensembles urbains, va servir de matériaux à la construction d’une opinion collective foncièrement défavorable à la religion musulmane.

J’aborde ces éléments socio-historiques selon deux aspects temporels

  • macro
  • meso

Extrait.

Aspect macro.

La perspective macro se rattache à la lente évolution des banlieues, des origines à aujourd’hui, en raison de la concentration initiale des populations de religion islamique au sein de ces zones (initiale dans le sens ou aujourd’hui, les musulmans ne sont plus strictement et uniquement cantonnés géographiquement dans les grands ensembles).

De manière extrêmement schématique, le déclin du monde ouvrier entraîné par un premier choc pétrolier et une désindustrialisation progressive accompagnée d’une diminution en besoin de travailleurs non qualifiés, à contribué à la paupérisation progressive des banlieues et de ses habitants. Le taux de chômage au sein des grands ensembles urbains où réside une concentration importante de ces ouvriers non qualifiés, progresse alors de manière rapide et les possibilités de reconversion ou d’accès à des qualifications supérieures par des populations faiblement scolarisées, en provenance majoritairement d’Afrique du Nord, est difficile voire très limitée, lorsqu’ils ne sont pas sujets à des pratiques discriminantes qui visent leur exploitation ou leur maintien au bas de l’échelle professionnelle https://www.lci.fr/justice/qui-sont-les-chibanis-cheminots-marocains-qui-ont-fait-plier-la-sncf-2077482.html

Les banlieues, jusqu’alors lieux de résidence pour travailleurs, se transforment peu à peu en réservoirs abritant principalement une masse d’ouvriers désormais inopérants, sans emploi et s’inscrivant dans une situation pérenne avec risque important d’augmentation de troubles socio-économiques divers : délinquance, insécurité, repli sur soi, pauvreté, analphabétisme…

A ces troubles socio-économiques s’ajoutent une probabilité accrue de désordres psychologiques. Une étude menée sur des sujets s’inscrivant dans une dynamique d’exclusion sociale ou professionnelle (chômeurs de longue durée, toxicomanes, immigrés, précaires sociaux, réfugiés…) montre des modifications profondes au sein des structures psychiques pouvant conduire vers une altération de la perception de soi et des autres. Ces troubles économiques, personnels et sociaux peuvent s’apparenter à de réels traumatismes dès lors qu’ils se repètent. Ils semblent impacter les comportements des sujets : hyper vigilance, changement identitaire, sentiment d’indignité… (Lony SCHILTZ et Barbara HOUBRE, « Pathologie adaptative et troubles identitaires. Résultats d’une enquête exploratoire. », Bulletin de la Société des sciences médicales, n°2, 2005)

Ces zones géographiques (cités quartiers…) ne détiennent certes pas le monopole de la souffrance sociale, psychologique et économique mais constituent en revanche des réservoirs, c’est-à-dire qu’ils concentrent et contiennent géographiquement des individus rencontrant les mêmes difficultés.

Souffrance vécue de manière isolée et souffrance vécue de manière groupale ne conduisent pas vers les mêmes résultats. L’agriculteur isolé en difficulté dans sa campagne profonde ne connaît pas les mêmes réactions que des individus en difficulté regroupés dans un même quartier (solidarités, débrouille, actions collectives légales, agissements individuels ou collectifs illégaux, économie souterraine…).

Aspect méso

Les « cités » se paupérisent rapidement. Les doléances de moins en moins prises en charge par un parti communiste en perte de vitesse et en voie de disparition ne pouvant plus, au passage, générer de forme de cohésion par le travail ou par les solidarités de « classe », mais aussi l’ethnicisation des quartiers par les pouvoirs publics tout comme la disparition progressive et continue des services de l’État au sens large, génèrent, entre autre, un glissement progressif autour de nouveaux pôles de regroupement : la culture d’origine, la tradition et/ou la religion.

De ce fait, d’une religion musulmane au départ plutôt pratiquée de manière individuelle dans un cadre privé (souvent le domicile), rattachée à un ancrage selon le pays d’origine et sans réel prosélytisme, apparaît progressivement un esprit religieux ou pseudo religieux plus revendicatif devenant un objet central dans l’expression, la revendication et le traitement des maux divers en vue, de manière sous-jacente, de générer de nouvelles formes de solidarités. Je me refuse cependant à parler d’islamisme. Le terme ne signifie rien et son utilisation tendrait à faire croire que ce processus de centralisation autour de pôles nouveaux, à conditions similaires, serait spécifique aux musulmans, aux arabes ou aux africains issus de pays musulmans, ce qui n’est pas le cas.

Ainsi se développent peu à peu des commerces, des associations, des lieux de cultes autour desquels peut s’organiser la vie sociale des individus et des groupes pendant que s’installe un chômage de plus en plus fort et semblant s’inscrire dans la durée.

Dans le même temps, les enfants issus de ces populations d’ouvriers immigrés, revendiquent une nationalité française légale et légitime en même temps qu’ils brandissent un « stigmate » que la société dénonce tout en leur imposant : leur arabité d’abord, puis leur islamité à partir des années  1990 2000.

Dans le même temps, le développement de ces pôles de fréquentation au sein des grands ensembles accentue l’isolement géographique et renforce l’exclusion culturelle, sociale et professionnelle en favorisant  un entre-soi zonal. Je dis « renforcer » car ces quartiers urbains ont déjà été construit initialement dans ce sens : garder cette population loin des centres-villes.

Grands ensembles, réalités sociales et opinion collective : l’islam au centre des attentions.

Le traitement médiatique mais aussi politique à propos des problèmes économiques et sociaux dans les quartiers, que ce soit au plan national ou selon des perspectives plus locales, tend à focaliser les attentions sur l’islam et l’islamité des acteurs de ces zones géographiques comme facteurs incontournables de troubles. L’islam serait la cause initiale et essentielle du communautarisme, de la « haine de la République », de la misogynie, de la délinquance, violence etc. La langue arabe serait porteuse d’un gène de la violence dont son étude à l’école mènerait nécessairement au terrorisme :

https://twitter.com/BFMTV/status/1047380576553132033

La religion musulmane serait une sorte de contre-valeur révolutionnaire qui viendrait s’opposer à l’État, à la modernité et aux valeurs humaines ou « occidentales ». L’idée d’une altérité essentielle et naturelle est donc déjà bien plus que dessinée : l’islam de l’Autre chercherait à s’imposer à la « République » et n’hésiterai pas à la « tester » au quotidien à travers ses atteintes répétées à la laïcité.

Une étude sur les occurrences les plus utilisées dans trois médias français (Le Figaro, Le Monde, Libération) allant de 1997 jusqu’à 2015 montre que les termes « musulmans » et « islam » se trouvent parmi les 16 mots les plus fréquents dans la presse, souvent d’ailleurs associés à un vocabulaire aux connotations péjoratives ou violentes (Moussa BOUREKBA, « L’islam, objet médiatique », 2016.En ligne : http://islam-objet- mediatique.fr)

C’est sur ces éléments imaginaires mais aussi sociaux que se structure majoritairement l’opinion collective, laquelle influence elle-même la sphère politique.

En outre, la glorification automatisée sans perspective critique de  « la démocratie » comme système ultime, supérieur, moderne, souvent teinté en arrière plan « d’occidentalo-centrisme », empêche d’en observer également les dysfonctionnements au sein de nos societés. L’un d’eux réside dans le risque de mercantilisation de la politique. C’est-à-dire que le suffrage universel, dans certains systèmes, risque de soumettre le politique aux exigences de l’Opinion. Or une opinion n’est pas le fruit de la connaissance, c’est le fruit d’un avis qui souhaite se passer de la connaissance. L’Opinion collective n’est que la somme d’impressions distillées par le médiatique qui envoie selon une cadence soutenue et importante des informations partielles, partiales et détachées d’un tout, à un public non formé ou sensibilisé à sa réception. L’alignement de la sphère médiatique sur les « desirs » populaires alimentés par le flux médiatique encore une fois foncierement defavorable à la religion musulmane mais aussi à ses adeptes réels ou supposés, risque d’entretenir une situation problématique.

La puissance et l’influence des affects générés à la simple évocation de l’islam sont considérables et suffisamment fortes pour les prendre en compte quant à l’étude du phénomène qui nous intéresse. L’évocation de l’islam active non seulement des stéréotypes souvent négatifs, un imaginaire également à tendance péjorative mais aussi des réactions de rejet venant solliciter des éléments larges et globaux comme l’histoire, l’identité et la culture. Une telle configuration réunissant des éléments aussi symboliquement puissants doit amener à une vigilance particulièrement accrue quant aux forces sous-jacentes qui sont en jeu et qui peuvent impacter négativement les perceptions.

 

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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