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Medias et reseaux sociaux: des dimensions paralleles.

Un monde qui change?

On entend souvent que le monde va mal, qu’il est en perdition, que les sociétés connaissent une inévitable involution dans bien des domaines qu’ils soient moraux, politiques ou sociaux. Les compétences auraient laissé place aux insuffisances et la vertu aurait cédé sa place au vice. Le monde serait moins sûr, plus violent, il serait au bord de l’agonie, du trépas, de l’implosion. Dans les années 80, certains démographes prédisaient même pour les années 2100, une terre avec plus 70 milliards d’habitants (rapport Meadows)… L’écroulement du monde n’est qu’une question de jours à en croire certains. Des hordes de « migrants » se précipitent en masse aux portes de nos sociétés et les ont même déjà « infiltrées ». Quand à nos adolescents, débiles et attardés, il ne respecteraient plus aucune limite et ne seraient plus que des zombis sans aucune competence intellectuelle ou cognitive.

Ces « constats partent du principe que le monde change ou à changé. Cela dit, s’exclure de ce monde dans sa complexité pour porter ce jugement est certes prétentieux mais surtout grotesque. Croire que le monde change mais qu’il change sans nous ou du moins, que nous, nous pouvons échapper à cette force est risible et irréaliste. Une telle idée d’imperméabilité est de l’ordre du fantasme. Certes, le papy de 90 ans ne sera pas très enclin à saisir les différences entre Windows et Ubuntu ou Apple et ne sera peut-être pas très familier avec internet et l’outil informatique ou, supposons même qu’il y soit complètement réfractaire pour des raisons x ou y parfaitement conscientes, il n’en demeure pas moins qu’il sera forcement affecté par ces outils qu’il rejette. Les individus avec qui il est susceptible d’entrer en interaction (ses petits-enfants, le boulanger, son voisin…) se servent de ces outils qui ont des impacts sur eux, sur leur façon d’être, de faire, de sentir et donc auront donc directement ou indirectement un impact avec ce papy avec qui ils interagissent.

Médias et effets pervers

Ce constat d’un monde devenu rétrograde est, pense t-on le fruit d’une forme individuelle de grande lucidité d’esprit et de sagacité peu commune que chacun s’attribue sans jamais penser que ce n’est peut-être pas le monde qui, dans son essence, change mais les outils avec lesquels nous le regardons, je ne dis pas la manière dont nous le regardons. Peu de gens regardent le monde…
Nombreux sont ceux qui l’abordent de par l’outil médiatique et ce dernier à connu d’importantes évolutions depuis plus d’une dizaine d’années avec l’apparition des chaînes d’information télévisuelles, des réseaux sociaux, avec la perte de vitesse des journaux papiers et enfin, avec la perte du monopole informatif des médias conventionnels.
Avec ces évolutions médiatiques l’information change. Elle est plus disponible, plus présente, plus « au cœur de l’info » comme aiment le dire les journalistes. Les chaînes d’info passent en boucle les événements sélectionnés par eux. Ça n’est pas un reflet du monde qu’ils projettent mais une sélection très drastique d’événements. Les infos tournant en boucle, l’alignement et l’entente des médias entre eux quant aux sujets à évoquer faisant que les mêmes chaînes passent exactement les mêmes infos aux mêmes moments, tout cela agit comme un effet de propagande. Nous ne disons pas que c’est là le but médiatique premier mais que l’effet est comparable.
Ainsi un acte violent, ou dont la mise en scène journalistique (il faut bien rendre l’insignifiant signifiant selon Bourdieu) accroît son potentiel dramatique, répété en boucle sur plusieurs chaînes simultanément donne l’illusion d’un acte dont la portée dépasse son aspect purement local et marginal voire statistiquement accidentel.
Ce genre de dérive est quotidien et s’inscrit dans la durée. Son déroulement répété consommé en masse à des répercussions sur les représentations collectives. Il y a une imprégnation et une intériorisation des biais (qui ne sont jamais évidement observés comme tels) qui vont faire de l’anedoctisme du nomothetisme et qui vont generer une distorsion de la perception.

Les réseaux sociaux: une nouvelle habitude de consommation pas forcement plus saine.

L’information via les réseaux sociaux va generer un autre effet.
A travers eux, et c’est là une nouveauté, les médias conventionnels vont perdre leur monopole. L’individu peut être générateur d’une information et la diffuser.
Autre nouveauté, la sélection individuelle et personnelle de l’info. Autrement dit, l’information médiatique peut désormais être personnalisable. On peut choisir l’info que l’on souhaite voir, lire ou entendre.
Ce choix peut contenir un effet pervers. Alors que l’on s’imaginait libéré de l’information sélective des médias conventionnels, voila que nous opérons nous même un schéma de sélectivité identique mais plus aliénant encore puisque fait par nous. Il était reproché aux médias classiques des informations anxiogènes, sélectives, partielles, partiales dictées par une ligne éditoriale orientée mais nous nous orientons dans nos choix informatifs vers une même configuration.
Si l’on focalise son regard sur un aspect plus micro encore, on remarquera une sélection dans la sélection. Certains comptes (twitter, Facebook…) d’individus créant ou relayant l’information se spécialisent sur un type de « fait ». Cela n’est en soi pas un problème mais cela le devient devant la logique informative et face à la péremption rapide de l’info, c’est à dire que la logique informative réclame de l’information spectacle (violence, misère, détresse…) et la péremption informative génère une information rapide, sans qu’il ne puisse y avoir de réelle exploration en profondeur: une information en remplaçant une autre, créant ainsi une sensation de vitesse et de cumul.
Cela devient également un problème lorsque les « sources » informatives de l’abonné sont réduites ou restreintes.
Autre problème de taille, ces biais combinés créent une impression de « fil rouge ». C’est à dire qu’ils créent une sorte de récit mediatico-historique continu. Une info montrant l’arrivée de migrant en masse, suivit d’une info sur la hausse du chômage peut generer une sorte de mise en logique (migrant = génère du chômage). Cela répété à de multiples reprises et à vitesse grand V termine d’inscrire le phénomène dans la logique.
Génération de l’info par tous et donc par n’importe qui, sélectivité informative en fonction des propres désirs de l’individu, spécificité informative accrue, information spectacle et flot informatif à vitesse exponentielle, tout cela accroît l’anarchie perceptive.

En guise de conclusion

Remplacer l’expérience vécue par l’expérience par procuration journalistique est une dangereuse opération qui se traduit par l’acquisition d’un pseudo savoir tronqué, partiel, partial et trop virtuel. En outre, ce savoir n’est pas le notre dès lors qu’il émane des médias traditionnels.
Pire, ce savoir biaisé peut devenir le notre si l’utilisation des réseaux sociaux est faite sans réflexion, sans feed-back, sans précaution et sans un minimum de méthode.
Il ne s’agit pas de diaboliser l’information par les réseaux sociaux mais de mettre en garde contre un usage anarchique et sans méthode.
Et mieux (d’un point de vue subjectif), je me demande s’il ne vaut pas mieux se couper un maximum de l’information sauf utilité professionnelle.
Les effets anxiogènes que les médias traditionnels imposent volontairement ou non et les mêmes effets que nous nous infligeons sont ils vraiment utiles? Ne peut on pas vivre pour nous même, pour nos proches, nos environnements en contact direct avec les réalités subjectives certes (et encore, cela n’est pas un gros mot ou une tare) mais vécues, personnelles et réelles?
Le droit d’informer et de s’informer c’est bien. Mais cette information, qu’en faisons nous. Elle est pour ainsi dire totalement improductive et stérile dans bien des cas.  A  été volé par B à Paris, C a détourné de l’argent à Moscou, un car s’est retourné à Dublin, des SDF sont morts de froid et M ancienne ministre tient des propos racialistes…Que faisons nous de tout cela? Rien.
Connaître pour connaître, connaître sans agir, et connaître pour oublier par la suite, à quoi cela sert-il?

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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