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Les propos de Laurence Rossignol sur les femmes musulmanes voilées qui sont comparables aux « nègres américains qui étaient pour l’esclavage ».

Il n’est pas dans mes habitudes de rebondir sur l’information médiatique quotidienne. Non seulement parce que je considère que ce serait répondre à de mauvaises questions, à de mauvaises problématiques et parce que je préfère une réflexion de structure, une réflexion qui s’intéresse à la mécanique des choses plutôt que poser la pensée sur un événement éphémère.

Cela dit, exceptionnellement je déroge à la règle. Je souhaite rebondir sur les propos de la ministre Laurence Rossignol en charge de la Famille qui, ce matin ce mercredi 30 Mars 2016 sur BFM TV, compare, entre autre, les femmes musulmanes aux « nègres américains qui étaient pour l’esclavage ».

Il ne s’agit pas vraiment de réagir sur ce type de propos d’une pauvreté dont on ne peut être que navré pour la personne qui les prononce, mais de revenir sur les problèmes qu’ils mettent en lumière. Crier à l’islamophobie ne m’intéresse pas. Non seulement l’islamophobie ne choque pas grand monde si ce n’est les intéressés, et en plus, on ne revient pas sur les causes et les conséquences du problème sans compter que de nos jours, on peut légitimement ressentir un certain ecoeurement face à toutes ces « phobies » qui concernent désormais tout et n’importe quoi.

Ethnocentrisme et évolutionnisme comme trame de fond

Doit-on s’offusquer des propos tenus par la ministre ? Oui et non. Ce ne sont pas les plus intelligents qui gouvernent. Il ne faut pas s’attendre à la révolution intellectuelle ou à la rupture épistémologique quelle qu’elle soit de la part du politique. L’esprit intelligent est toujours en mouvement, en rupture. Il n’est jamais satisfait. Il est dans un processus d’évolution constant. Il ne cesse de questionner, se trouvant dans un état perpétuel d’inconfort qui interdit l’idée de certitude ultime et perpétuelle.
Les propos de la ministre ne sont en rien nouveaux. Ils s’inscrivent dans la logique et la continuité de la pensée coloniale. Il s’agit d’une posture essentialiste et ethnocentrique qui veut voir chez l’autre (ici le musulman avec en arrière plan l’arabe) et ses pratiques (l’islam) un être abject, arriéré et sauvage qu’il convient non plus vraiment d’éclairer mais surtout de dénoncer et d’humilier faut d’avoir pu le corriger..

Les propos de la ministre mettent en lumière un évolutionnisme historique et culturel par la voie d’un « universalisme analogique » c’est à dire qu’ils reflètent l’idée que notre histoire, parce que nous l’avons vécue comme telle est naturelle, forcement universelle, qu’il existe des niveaux hiérarchisés au sein des peuples dans le domaine politique, culturel, intellectuel et social (hiérarchisé par qui peut-on se demander?), qu’il existe donc des peuples en avance, d’autres en retard avec l’idée de fond que le modèle et la norme à suivre c’est nous (France ? Français ? Occident ? Pays dits démocratiques ? Laïcs ? )

La ministre évoque un parallèle curieux entre les vêtements, la mode, et les modes de vie en prenant comme exemple le dévoilement du corps des femmes en France qui suivrait l’évolution des libertés féminines en matière d’éducation, d’économie etc. Pour elle, le voile islamique c’est l’enfermement des corps et la négation de la liberté. On voit bien ici que du fait de l’accroissement des libertés féminines supposément accompagné d’un dévoilement synchronisé et progressif (en France ou en Europe) des corps, cela doit forcement être la norme de référence et par conséquent l’unique chemin à suivre pour l’humanité. Or, des femmes musulmanes fréquentent les bancs de l’université, acquirent cette liberté intellectuelle si chère à la ministre et sont voilées ou décident de se voiler. Le parallèle de la ministre ne tient pas.  Le dévoilement des corps n’a visiblement pas libéré de l’ethnocentrisme et de l’illusion de la vérité universelle…

Confier aux marques et à la mode des responsabilités sociales…

La ministre nous enseigne que les marques ont une responsabilité sociale. Quelle curieux argument. Si la mode, avec tout ce qu’elle contient d’éphémère, de vil et de discriminant possède un devoir social, autant confier au diable la gestion de la vertu et de la morale. Dans une société au marché déifié, dérégulé, ou l’individu est déshumanisé, réduit à un agent de consommation dont le potentiel financier et d’épargne fait de vous une abomination ou un modèle à suivre,  dans laquelle la morale est fonction des finances, il est vraiment inquiétant de vouloir déléguer ou ne serait ce que de vouloir confier à la mode et aux marques donc au marché une quelconque forme de devoir social…

Idéologie contre idéologie

Dernier point, le combat idéologique. Nous sommes passés ces dernières années d’une laïcité qui autorise la visibilité et la pratique religieuse dans le public et impose la neutralité religieuse des institutions et agents de l’État, à la laïcité falsifiée pour reprendre Jean Bauberot, qui interdit à certains la pratique et la visibilité religieuse dans l’espace public et qui impose désormais l’obligation de neutralité à certains usagers. Par la suite, nous sommes passés à « la république » (lois de la république, morale républicaine, esprit de la république…) sans vraiment savoir de quoi il s’agit. Visiblement, il s’agirait de normes et valeurs supérieures qui fonderaient une forme de condition à l’appartenance nationale et/ou sociale ainsi qu’à une forme d’évolution culturelle, intellectuelle, morale et civilisationnelle.
La position de la ministre reflète une dichotomie entre un « eux » et un « nous ». On ne peut pas vraiment être musulman et bon français. Il faut d’abord le prouver. Et pour le prouver vous devez être républicain avant tout. De cette manière, vous serez libre et féministe à notre manière. La bonne manière. C’est pour cela qu’il est nécessaire de placer l’amour de la république avant l’islam et de se considérer d’abord comme républicain avant d’être musulman. Autrement, il s’agit d’activisme politique et religieux. Une femme qui se voile ne peut pas être autre chose.

Il y a là une référence claire à la théorie de l’étiquetage et par ce biais, nous assistons à la création par l’État lui-même, d’une altérite idéologique antagoniste artificielle. L’État, en apposant volontairement et artificiellement sur certains individus des stigmates, génère lui même les individus et les positions idéologiques qu’il prétend combattre. Un peu comme dans le cas des maladies auto-immunes sauf que dans ce cas, l’auto-agression est involontaire et n’est pas le fruit de la volonté…                                  La ministre évoque la certitude que ce sont les « salafistes » (définition?) qui imposent le voile et qui par la même occasion, évaluent et déterminent le bon musulman du mauvais. Mais comment ne pas voir que la ministre, plus généralement l’État se prête exactement au même exercice ?

Être intelligent ou gouverner, il faut choisir.

 

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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