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RADICALITÉ, RADICALISME, RADICALISATION: LES PRODUCTEURS DE DISCOURS.

Toujours dans le volet sur la radicalité, je reviens cette semaine sur les producteurs de discours en France quant à la thématique qui nous intéresse ici.

Il ne s’agit pas encore de la relater leur fonctionnement mais de mettre en évidence ces producteurs (que j’appelle aussi émetteurs) dans un premier temps et de souligner l’intérêt qu’ils peuvent revêtir au sein de la problématique.

Extrait.

LES PRINCIPAUX PRODUCTEURS DE DISCOURS.

Nous identifions 4 grands producteurs de discours sur la thématique de l’islam mais aussi sur la question du radicalisme et de la radicalisation en lien avec la religion musulmane en France: les médias, les politiques, l’opinion collective, les sciences.

PORTRAITS GENERAUX

LES MÉDIAS

Ils sont un producteur important de discours quant à l’objet islamique mais aussi vis-à-vis de la question de l’activisme violent (radicalisation) et du rigorisme religieux (radicalisme). Ils participent non seulement à la construction de l’opinion collective mais aussi, à plus long terme, à la construction d’un imaginaire collectif sur l’objet islam. Nous verrons dans quelques lignes la différence que nous opérons entre ces deux éléments.

Ainsi que nous le verrons tout au long de ce travail, les représentations véhiculées par la sphère médiatique à propos de la religion musulmane sont singulièrement les mêmes depuis 30 ans, diffusant globalement une image réductrice, stéréotypée, belliqueuse et anxiogène tant des fidèles que du culte.

Le pouvoir d’impact du message médiatique, déjà conséquent, s’est considérablement renforcé depuis les années 2000 et plus précisément depuis le milieu des années 2000 avec l’apparition des chaînes d’information en continu gratuites en France. Cette évolution à augmenté la portée des messages en multipliant les canaux, mais aussi en diffusant continuellement un même message répété en boucle avec synchronisation entre les différents diffuseurs. Ainsi que le démontre très bien Bourdieu dans son analyse sur les médias, la presse vise moins à observer le monde que de savoir ce que les journaux concurrents vont dire à travers la revue de presse (Cf Pierre BOURDIEU, Sur la télévision, Liber, 1996).

La conséquence directe est une homogénéisation des contenus: tous les médias disent sensiblement la même chose. Cela est davantage vrai pour la presse quotidienne (écrite, radio, télé). La presse hebdomadaire sur laquelle nous concentrerons notre attention plus loin fonctionne sur un schéma légèrement différent en laissant, par exemple, s’exprimer des interprétations subjectives plus patentes selon l’orientation politique du média en question (droite pour Le Figaro, extrême droite pour Valeurs Actuelles, gauche pour Mariane…). De la même manière, on retrouvera une sélectivité des faits exposés en rapport avec les lignes éditoriales des hebdomadaires en question sur des sujets de prédilection (ex: une laïcité menacée par les islamistes et une « république » gangrenée par les religieux pour Mariane; l’islam, l’immigration et l’insécurité pour le Figaro et Valeurs Actuelles…) Cette orientation est plus délicate à mener dans la presse quotidienne lorsqu’il s’agit d’exposer les « faits du jour » du fait justement de l’homogénéisation des contenus.

Pour en revenir à cette presse quotidienne, le pouvoir d’intériorisation d’un message répété en continu et de manière synchronisé sur de nombreux canaux peut être conséquent sur les récepteurs même s’il convient de nuancer les propos.En effet des recherches ont montré que la répétition d’un message ne conduisait pas forcement à un état persuasif si le message est question était perçu par le récepteur comme fondé sur de mauvais arguments. L’effet serait alors inverse.(Claude CHABROL, Miruna RADU, Psychologie de la communication et de la persuasion : Théories et applications, Ouvertures Psychologiques, coll. « De Boeck », 2008, p. 40.).

 Toute la question est de savoir si les arguments exposés par les médias sont reçus favorablement par les récepteurs quant à la question aussi bien de l’islam, que du radicalisme et de la radicalisation. Aussi, au regard de l’intériorisation des messages médiatiques au sein de l’opinion, majoritairement défavorables à la donnée « islam »,  nous pensons que les messages sont reçus favorablement.

LES POLITIQUES

Sociologiquement, l’aspect important réside ici dans la possibilité que l’acteur politique puisse être amené à devenir décideur et par là, devenir une force qui, non seulement détermine le légal et l’illégal, mais aussi le légitime et l’illégitime. Le rapport à la théorie de l’étiquetage est évident. (De manière très simplifiée, la théorie de l’étiquetage développée par Becker soutient l’idée que c’est le groupe dominant qui détermine la normalité de la deviance). Nous verrons plus tard les effets que cela engendre sur le concept de radicalisme et de radicalisation mais aussi quant aux représentations collectives à propos de la religion musulmane.

Quoi qu’il en soit, le radicalisme d’abord puis la radicalisation par la suite, sont des sujets prégnants en politique contemporaine depuis 1989 avec la première affaire du foulard à l’école, puis depuis 2001 avec les préoccupations sécuritaires des Etats occidentaux du fait des attentats du Word Trade Center, de Madrid, Londres et voire ceux de Casablanca.

L’année 1989, nous le développerons, représente une date charnière car elle symbolise le basculement politique entre d’une part, une laïcité et une loi de 1905 ayant pour cible principale la religion catholique, et d’autre part une religion islamique prenant désormais la place centrale. Ce basculement correspondra également à un mouvement notable de renversement au sein du jeu politique. On verra que droite et extreme-droite jusqu’alors en opposition à la « laïcité » avant 1989 (ex loi Savary), basculeront vers une inversion des rôles et une réappropriation de cette même « laïcité » jusqu’alors décriée. Autrefois menace à la liberté, la laïcité devient désormais le principe à défendre, le symbole et l’identité de la « République ».

L’OPINION COLLECTIVE

Nous effectuons une légère différence entre l’opinion collective et l’imaginaire collectif dans le sens ou, l’opinion entretient un rapport plus direct et plus étroit avec la sphère médiatique et politique, alors que l’imaginaire collectif entretient un rapport plus profond, plus inconscient ou sous-jacent avec le temps, la culture, l’histoire.

Par exemple, l’opinion pourra influencer la production d’avis ou de sentiments au regard d’une affaire spécifique de corruption liée à la politique mais qui, si elle n’est pas alimentée par la sphère médiatique tendra à s’éteindre (l’information éphémère en chassant une autre), alors que l’imaginaire collectif entretiendra une méfiance plus pérenne et générale à l’égard du politique considéré comme fondamentalement corrompu (« tous pourris ») et dont la malhonnêteté serait naturellement avérée.

L’opinion collective est donc en lien avec l’univers médiatique et est constamment entretenue par lui. L’islam comme objet médiatique est perpétuellement teinté de tragique. La religion musulmane n’est globalement évoquée que pour souligner des violences, des crimes, des attentats ou des antagonismes menaçants. Nous développerons plus loin, un fonctionnement conjoint entre opinion, médias et sphère politique, lesquels sont entraînés dans un rouage mécanique qui rend difficile un fonctionnement strictement autonome.

LA SPHERE SCIENTIFIQUE

L’islam n’est pas un objet de recherche nouveau en science dans l’hexagone. De nombreuses disciplines ont pu se pencher sur la religion musulmane : l’histoire, l’anthropologie, l’archéologie, l’ethnologie… En revanche, la question du radicalisme lié à l’islam est beaucoup plus récente. Depuis la fin des années 80, quelques chercheurs, des sociologues surtout, entament la question de l’islam « radical » ou de « l’islamisme » dans le monde musulman (O. Roy, B. Etienne, F. Burgat…). Depuis 1989 et la première affaire du foulard à l’école en France, la question s’est amplifiée mais davantage du côté médiatique. A partir du 11 septembre 2001, des recherches commencent à apparaître en sciences sociales surtout aux Etats-Unis. Par la suite d’autres attentats en Europe, face à un terrorisme « fait maison » avec des acteurs qui ne proviennent plus exclusivement de l’extérieur mais de l’intérieur même des pays cibles avec des auteurs français, espagnols ou anglais, les sciences humaines se saisirent de la question en même temps que la sphère politique se concentre sur l’aspect sécuritaire.

La question de l’impact de ces travaux scientifiques sur les différentes autres sphères se pose. On notera une diffusion et un impact plutôt confidentiels de ces travaux sur les autres pôles. La question de l’accessibilité d’une terminologie plutôt complexe et perçue comme réservée à des initiés semble être en cause, de même que la faible diffusion médiatique des productions à caractère scientifique. Cela dit, quelques auteurs ont, ces dernières années, démocratisés les travaux en les rendant plus accessibles au public (R. Liogier, V. Geisser, G. Keppel, F. Khrosrokavar…). Néanmoins,

l’opinion collective accuse encore le pôle scientifique de ne pas être suffisamment au contact de la réalité quotidienne et concrète en étant trop focalisé sur le théorique ; les médias lui reprochent un aspect insuffisamment spectaculaire et trop complexe ; et enfin la sphère politique connaît une dyssynchronie temporelle avec les travaux des scientifiques : le temps du sociologue n’est pas celui du politique et les objectifs différents eux aussi.

A noter aussi que la sphère politique tend à accuser les sciences humaines et sociales de se positionner plutôt à gauche de l’échiquier politique et de vouloir « justifier » les actes des terroristes selon les désormais célèbres propos de l’ancien premier ministre Valls à l’assemblée nationale. Pour terminer, lorsque la presse s’intéresse à quelques travaux c’est rarement une étude intégrale mais un survol et un arrêt sur quelques phrases potentiellement polémiques sur lesquels on tentera d’arracher un instant de scandale. Nous reviendrons plus tard sur les raisons d’un tel fonctionnement.

CONCLUSION

Avant de se lancer dans des analyses il faut d’abord identifier l’ensemble des acteurs sur scène.

Nous avons pu identifier 4 producteurs de discours et avons remarqué une interdépendance des émetteurs entre eux dont je développerai le mécanisme plus loin, ainsi que la nature des messages émis sur l’objet au centre de la perception radicale: l’islam. Je procéderai à cette analyse lorsque j’aborderai la seconde grande partie de mon mémoire: le radicalisme.

Le prochain billet, s’attachera à étudier la terminologie habituellement utilisée par les principaux producteurs de discours pour évoquer l’islam, l’activisme violent (la radicalisation) et le radicalisme (le rigorisme religieux) afin d’en établir une étude critique. Je monterai que la compréhension de termes et de concepts islamiques (Allah, djihad, islam, charia…) souffre de nombreuses insuffisances. Il s’agira de mettre en évidence les impacts de l’imaginaire révélés grâce à une comparaison avec des socles d’objectivité des savoirs: islamologie, théologie islamique, droit musulman, sémantique…

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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