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La tentation de l’explication exotique pour expliquer la radicalisation religieuse liée à l’islam en France

LA TENTATION DE L’EXPLICATION EXOTIQUE

L’opinion, les médias, les politiques et les chercheurs semblent perpétuellement décontenancés par le phénomène de la radicalisation violente lorsqu’elle est liée à l’islam tant le phénomène semble dynamique et mouvant, presque insaisissable, changeant toujours de forme et ne cessant jamais de surprendre.
Si le phénomène semble nous prendre de court et avoir un temps d’avance, c’est en partie parce que les analyses et les conceptions qu’elles soient scientifiques, politiques et/ou médiatiques tendent à isoler excessivement les individus concernés par le phénomène de la radicalisation violente. Il en ressort un fonctionnement biaisé et une explication souvent exotique pour tenter d’appréhender le phénomène.
Je voudrais donc pour ma part, me focaliser sur ces deux aspects de la recherche qui me semblent importants:
• l’isolation excessive
• L’explication exotique

 

L’ISOLATION EXCESSIVE
Cette isolation, nécessaire il est vrai dans certaines opérations analytiques pour mieux étudier les discours par exemple ou les perceptions d’un groupe d’individus, doit en revanche veiller à réintégrer les éléments isolés aux « milieux d’origine » qui sont les leurs.

Par isolation, il faut comprendre : étape qui vise à « arracher » l’objet à étudier de son milieu pour mieux pouvoir l’examiner en profondeur.
L’étude de la radicalisation violente en France à souvent tendance à oublier cette étape. Il en résulte à la fin de l’opération, un groupe d’activistes violents comme groupe déviant, considéré quasiment comme auto-constitué, existant par et pour lui-même, d’origine naturelle avec un fonctionnement autonome. C’est littéralement oublier que c’est le chercheur qui à produit cela.
Dans de nombreux cas, du moins au sein de l’hexagone, les activistes violents sont français. En tant que sociologue, la nationalité m’importe peu. Ce sont en revanche les processus de socialisation qui sont vraiment importants: il y a des « échanges » entre les individus et la sphère sociale et cela dans les deux sens, qu’on le veuille ou non. Ces échanges participent à la « socialisation primaire » et « secondaire » (processus d’acquisition des règles de vie en société ou en collectivité par la famille et les institutions) donc à la formation du sujet et à une partie de sa perception et conception du monde.

En ce qui concerne les « radicaux », on retrouve ces mêmes échanges et ces mêmes communications avec la sphère sociale. Les acteurs violents sont peut-être pour certains isolationnistes mais ne sont pas isolés. Ca n’est pas la même chose. Les « radicaux » ne sortent pas du sol et ne naissent pas violents sauf cas pathologiques.
Cette réalité du rapport à la société saute aux yeux lorsque l’on étudie les discours des activistes violents (dans mon cas je me suis focalisé sur les revues en ligne éditées par Daesh). Les références à un monde occidental devenu décadent, dérégulé et injuste (déstructuration de repères foncièrement stables comme les rôles au sein de la famille ou entre les sexes, dérives liés au capitalisme, injustices sociales, discriminations, anomie…) y prennent une place presque centrale. On retrouve même à certains passages, des références à certains philosophes des Lumières. Vouloir considérer les activistes violents comme séparés, isolés de la sphère sociale est une posture indéfendable.
Les constituer en groupes séparés de la société c’est prendre en outre le risque de l’essentialisme (posture qui vise à attribuer à certains facteurs pourtant acquis, des raisons « génétiques », naturelles ou évidentes).

L’EXPLICATION EXOTIQUE

Elle semble résulter de deux éléments:

  •  du biais induit par l’isolation excessive
  •  d’une volonté de distanciation entre les acteurs violents ou le phénomène, et nous-mêmes.

Ainsi que nous venons de le voir, l’isolation excessive produit une situation qui ne reflète pas un fonctionnement réel voire « normal ». Par normal j’entends: « probable », ou « qui va se retrouver dans une grande partie des cas ». L’improbable, l’accidentel, le spécifique, le particulier dans une enquête, quelle qu’elle soit, n’est selon moi, jamais à privilégier de prime abord.
Malheureusement, c’est trop souvent le cas concernant la radicalisation violente liée à l’islam en France. En effet, de par cette isolation excessive qui renvoie à des fonctionnements illusoires mentionnés plus haut, la tentation est grande de vouloir chercher des explications originales ou des pistes inédites. Ainsi, dans l’esprit de beaucoup, l’étude du phénomène en question ne peut avoir la même « trame » ou la même mécanique que d’autres phénomènes pourtant similaires. Je pense par exemple aux nombreux cas de violence liés à des organisations politiques ou idéologiques en Europe au sein de l’histoire (nationalismes, régionalismes, mouvements révolutionnaires…). L’activisme armé lié à l’islam n’a pas le monopole de la violence dans cette région du globe. Au contraire il est même très récent. Aussi, le radicalisme violent lié à l’islam n’est que trop modestement envisagé sous des angles « normaux » (patriotisme, nationalisme, « idéologisme »…). Quelle différence mécanique entre un « je suis prêt à mourir pour mon pays » et un « je suis prêt à mourir pour l’Etat islamique ou le califat »?
Alors viennent les explications particulières, les plus exotiques. Peu s’en faut pour que l’on appelle à la rescousse le zoologue…

De manière sous-jacente, il y a, en outre, cette volonté de distanciation avec le « terroriste islamiste ». Il ne peut pas être des nôtres. Il ne peut pas être issu de nos sociétés. Le terme « barbare » si souvent utilisé renvoie bien à cette idée d’éloignement, de distance. Le barbare c’est l’étranger. Aussi, tentation est grande de ne voir aucun mécanisme connu, donc humain, régir les acteurs violents en lien avec l’islam même s’ils sont nés en France. Lorsque c’est le cas, soit la cause du sang vient trouver une raison qui va servir à repousser (« ils ne sont pas français de souche« ) soit l’islam va servir de cause exogène à l’explication de la violence.
Là encore, il  s’agit de trouver des explications spécifiques qui, non seulement mettent la société hors de cause, mais surtout qui nous éloignent le plus possible des acteurs violents.
Pourtant, il est facile de faire des parallèles avec d’autres mouvements ou organisations que l’Occident a pu connaitre dans l’histoire. Pour ne prendre qu’un seul cas, il est à mon sens très simple de mettre en lien le phénomène hippie et les individus (européens) qui rejoignent Daesh même si cela peut prêter à sourire. Mécaniquement, le procédé est très similaire. Les premiers étaient en quête d’une société nouvelle, aux solidarités fortes et au contrôle social faible. En filigrane, il y avait l’idée de se rapprocher d’un idéal tant sociétal qu’individuel, dans le but de trouver ou de retrouver une nature humaine saine et idéale désormais entravée et pervertie par l’individualisme, le patriotisme, les motifs économiques, le travail etc. On retrouvait une forme de « bricolage » de la pensée bouddhiste, védique ou plus largement extrême-orientale au sein des conceptions du mouvement en question.
Ceux qui rejoignent l’organisation terroriste quant à eux rêvent également d’une société nouvelle, aux solidarités fortes, au contrôle social en revanche très resserré, avec l’idée de retrouver là aussi un monde pur, actuellement perverti par les hommes et les sociétés. Ici aussi, on retrouve un « bricolage » de la religion islamique qui débouche sur une forme de syncrétisme.
Certes, les premiers sont profondément pacifistes face aux seconds, mais le schéma est très similaire dans son fonctionnement. Les travaux de Mircéa Eliade sont, au passage, très intéressants quant à cette idée d’un monde pur à ses origines, se dégradant peu à peu jusqu’à sa destruction avant de retourner à un état de pureté originelle dans un fonctionnement cyclique et répété.

 

CONCLUSION
Bien sûr, notre difficulté à comprendre le phénomène de l’activisme violent lié à l’islam ne peut être réduite aux 2 causes mentionnées dans ce court article. Les facteurs s’inscrivent dans une perspective plus large mais ces deux points ici développés doivent inviter à méditer sur la charge émotionnelle et symbolique que revêt la problématique tant pour la société que le sujet (chercheur, lecteur…) et qui va avoir un impact non négligeable sur ce dernier.
Les explications les plus « particulières » doivent en outre inviter à la prudence (du moins en ce qui concerne les sciences humaines). En effet, aucun être vivant ne sélectionne par défaut le chemin le plus compliqué. Le choix se dirige avant tout vers la facilité.

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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