You are currently viewing Les Français indisciplinés face au confinement : l’explication qui n’explique rien. L’apport des sciences humaines.
Illustration du nouveau coronavirus, Covid-19 - Mars 2020 / © UPI/MaxPPP

Les Français indisciplinés face au confinement : l’explication qui n’explique rien. L’apport des sciences humaines.

INTRODUCTION

Constat posé par certains, question soulevée par d’autres, l’indiscipline des Français quant au confinement lié à la crise du coronavirus est dans bien des bouches. Pourtant, concrètement, une fois que l’on a évoqué ce pseudo manque de discipline, que reste t-il ? Pas grand-chose à vrai dire et les « débats » tournent rapidement à la discussion de bistrot: sauvagerie naturelle de certains surtout dans les « quartiers », légèreté et inconséquence d’autres… Bref, une agitation qui fait les choux gras d’émissions comme les « Grandes Gueules » et autres rendez-vous où l’opinion, spontanée, vive et populaire, ringardise la  connaissance, qui serait trop complexe, énergivore et trop détachée de « LA » réalité.

Aussi, consterné mais pas surpris par un article de Marianne sur le confinement non respecté dans les zones dites « sensibles », lesquelles seraient des réservoirs naturels d’anarchie absolue incarnés par des hordes de sauvages (noirs et arabes) sans foi ni loi, j’ai pris le temps d’interrompre la rédaction de ma thèse pour rédiger ce billet. https://www.marianne.net/societe/dans-les-cites-le-confinement-va-inevitablement-faire-monter-la-violence

Je tenterai, au sein de celui-ci, de démontrer comment un message ou une injonction peut être perçu et traité différemment selon les individus et les groupes. Pour cela, je m’appuierai sur les apports de la psychologie, de la psychologie sociale, de la  psychologie de la communication et de la sociologie. L’idée principale est de démontrer que les messages passent par des filtres complexes, et qu’ils ne suivent en aucune manière un cheminement linéaire et binaire de type stimulus/réponse, et qu’ils ne débouchent pas sur une réponse immédiate et encore moins uniforme. 

Naturellement, il ne s’agira pas de dédouaner mais de comprendre les processus en action pour aller au dela de la simple opinion. L’importance de leur prise en compte pourra se montrer fondamentale par exemple lors de la décision de réduire le confinement. Une décompensation trop brusque pourrait avoir des effets délétères et une meilleure compréhension des mécanismes cognitifs pourrait permettre des mesures plus efficaces. Retour donc sur les processus cognitifs sous-jacents en action.

LES APPORTS DES SCIENCES HUMAINES SUR LE TRAITEMENT DES MESSAGES

UN MESSAGE = DES EFFETS

Les travaux sur la nature des comportements générés par des messages ne sont pas nouveaux. L’École de Yale et de Palo Alto notamment s’y sont intéressées dès les années 50 et ont donné une littérature scientifique bien fournie. Armée, sécurité routière, politique, publicité, santé, autant de domaines qui se sont intéressés à la psychologie de la persuasion et de la communication mais aussi de la soumission pour des raisons évidentes.

Dans le cas qui nous intéresse ici, qu’est ce que ce domaine peut nous apprendre ? Tout simplement que l’intériorisation du message et son acceptation par les récepteurs (les individus) mais aussi par les groupes (aspects sociaux et représentations collectives) n’est pas homogène. Tout le monde n’interprète, ni ne traite, ni ne perçoit, ni ne comprend les messages de la même manière, même si, massivement, les injonctions au confinement sont respectées. Voyons comment et pourquoi.

MESSAGE ET CONFIGURATION PRIMAIRE

D’abord, il convient de mettre en lumière le message principal et sa configuration. Le message principal peut être définit comme celui-ci : « Restez chez vous » . 

La configuration, elle, est communicationnellement descendante et émane d’une autorité, ici, l’Etat. Il s’agit donc d’un ordre. Ce point est important car les représentations d’une autorité chez les individus ou au sein de groupes peuvent avoir un fort impact sur la mise en place de changements attitudinaux qui seraient attendus. Nous y reviendrons plus loin.

DE QUOI SE COMPOSE LE MESSAGE?

Nous l’avons vu quel était le message : « Restez chez vous ». Désormais, voyons de quoi le message se compose.

Le message principal se compose d’une injonction : « Restez chez vous ». C’est un ordre qui vise un changement attitudinal des récepteurs. L’idée est de modifier un comportement normal et habituel appliqué en temps ordinaire qui est celui sortir et vaquer à ses occupations comme on le souhaite. 

Le message se compose également d’un élément émotionnel et motivationnel : la peur. Ici celle du virus et de la contamination.

Le message se compose en outre d’une recommendation/solution : faites cela pour éviter de tomber malade et de contaminer les autres.

Et enfin, le message se compose d’un élément coercitif (sanction): 135 euros, voire une peine d’emprisonnement si récidive. Ce point à aussi son importance ainsi que nous le verrons plus loin. Précisions que tous les messages visant des changements attitudinaux, ne font pas forcement appel à l’élément coercitif. Par exemple, les appels au dépistage du colon recommandent vivement de faire un test, régulièrement, à partir de 50 ans mais ne punissent pas en cas de refus.

TRAITEMENT COGNITIF DU MESSAGE FAISANT APPEL À LA PEUR : L’EXEMPLE DU MODÈLE DE WITTE

Dans le cadre de la crise liée au coronavirus, les autorités émettent un message et les récepteurs, ici les Français, le réceptionnent. Seulement, les individus ne sont pas des boites vides qui se rempliraient avec ce que l’on y mettrait dedans. Ainsi, ce n’est pas parce que le message est « restez chez vous » que la réponse sera forcement et simplement « oui » ou « non » en fonction d’un conditionnement: l’ intériorisation généralisée des normes sociales qui comprend le respect de la loi. C’est là toute la critique du mouvement que l’on a appelé « Behavorisme » impulsé par Watson et Skinner au début du XXe siècle. 

En effet, dans les messages qui font appel à la peur, ll existe des processus cognitifs et sociaux, complexes, qui agissent comme des filtres et qui orientent la réponse chez l’individu. 

Selon le schéma « Extended Parallèle Process Model » mis en évidence par Witte, on peut relever 4 processus cognitifs : 

  • l’appréciation de la gravité de la menace
  • l’appréciation de la vulnérabilité de l’individu face à la menace 
  • l’appréciation de l’auto-efficacité de l’individu face à la menace
  • l’appréciation de l’efficacité des recommandations/solutions que propose le message.

J’ajouterai de maniere personnelle, un cinquième critère:

  • l’appréciation par l’individu de la source du message qui émet les recommandations /solutions. Ce critère me semble valide étant donné que la réponse attitudinale dépendra également du niveau de crédibilité qu’attribuera l’individu à la source du message indépendamment de l’évaluation de la mesure.

Le rôle de la peur dans les messages a été profondément étudié par l’École de Yale. Son rôle de Motivateur a été bien mis en avant avec, selon les chercheurs, des impacts quelque peu différents.  Dit d’une autre manière, on s’est rendu compte que la peur était un facteur pouvant très sensiblement influer sur la réponse de l’individu face au message

Selon Janis et Kelly, on relève ,synthétiquement, un double mécanisme face à la peur:

  • le « contrôle du danger » que l’on pourrait comprendre comme l’acceptation par l’individu des recommandations du message en vue de se protéger et d’éviter le danger
  • le « contrôle de la peur » que l’on pourrait comprendre comme des tentatives de diminution du désagrément causé par la peur, et donc la mise en place par l’individu de « stratégies d’évitement » pour la réduire (L’épidémie ne me touchera pas ; elle ne touche que les personnes âgées ;  je suis en bonne santé…). En d’autres termes, la peur est un sentiment perçu comme désagréable et l’individu tente, consciemment ou non le débat n’est pas celui-là, de la diminuer pour réduire l’inconfort qu’elle génère. C’est ce que Leventhal appelle: « L’ effet boomerang ».

SYNTHESE

« Si la menace est perçue comme plus forte que l’efficacité personnelle et l’efficacité des recommandations, ces processus cognitifs conduiraient à l’activation d’une motivation à la défense (l’individu va rejeter le message, en essayant de diminuer sa propre peur.) (…), si la menace est perçue comme moins forte que l’efficacité personnelle et l’efficacité des recommandations, ces processus cognitifs conduiraient à l’activation d’une motivation de protection (…). L’individu accepte le message (…). » CHABROL Claude, RADU Miruna, Psychologie de la communication et de la persuasion, De Boeck, Coll. « Ouvertures Psychologiques », 2008.

RÉACTANCE FACE AU MESSAGE: EXEMPLES DE BIAIS COGNITIFS

LES « POPULATIONS JEUNES » ET LE RISQUE.

À partir de là, on pourra comprendre que, encore une fois, même si le message est globalement intériorisé favorablement par les populations, il demeure « normal » de constater des comportements « déviants ». Les perceptions que l’on peut avoir de soi, des autorités, des mesures préventives et curatives, peuvent varier selon les individus et les groupes.

La perception de soi-même par exemple, semble jouer un rôle important sur ces processus cognitifs, et risque d’avoir un fort impact sur la perception  et sur les représentations du danger. Des travaux ont déjà mis en évidence l’appétence de certaines populations pour « le risque ». Les jeunes par exemple, ont eu tendance à montrer au sein de certaines études, des pratiques à risque plus importantes que chez des groupes d’individus plus âgés. Cela a globalement été démontré dans des études concernant l’usage de stupéfiants, les pratiques sexuelles à risque et la conduite automobile. On pourra donc se questionner sur les perceptions des populations jeunes vis-à-vis du risque sanitaire actuel (Évaluation de la menace ; évaluation de l’auto-efficacité…), ainsi que sur leur réponse face au message. Sachant qu’il arrive, que les « jeunes » peuvent avoir des perceptions déformées de leurs propres capacités, d’ou certaines prise de risques.

LES POPULATIONS JEUNES ET LE GROUPE: ASPECT PSYCHOSOCIAL ET SOCIOLOGIQUE

Qui plus est, la réponse des individus « jeunes » face au message, peut aussi être conditionnée ou modifiée, en plus des spécificités psychologiques et cognitives individuelles, par l’aspect social ou par les modes de socialisation qui sont les leurs (La bande par exemple.Cf les travaux de Marwan Mohammed et Gerard Mauger). En effet, chez les populations jeunes au sein desquelles certains processus psychologiques et sociaux sont encore en cours d’acquisition, le souci d’approbation vis-à-vis du groupe semble retenir une certaine importance. Si l’on veut être quelque peu caricatural par soucis de simplification, disons alors que la mise en avant de soi par le défi face aux règles imposés émanant de l’autorité peut susciter l’approbation du groupe et ainsi, elle peut démontrer que l’on ne craint ni les sanctions ni les menaces. Elle peut donc chez « les jeunes » et dans un groupe, mettre en valeur des qualités comme la vaillance, le courage, la défiance, la virilité face au danger et face à l’autorité, etc.

LES POPULATIONS NON JUVENILES ET LE CONFINEMENT : EXEMPLE DE BIAIS COGNITIFS AU REGARD DU MESSAGE. LE MAINTIEN DES ÉLECTIONS ET INJONCTION PARADOXALE

Pour ne pas nous focaliser exclusivement sur les populations juvéniles, ces filtres cognitifs ont également pu agir sur des populations plus âgées. En effet, les mesures de confinement prises par les autorités en France n’ont pas été immédiatement et massivement respectées. De nombreux articles et reportages ont pu montrer, au début de la mesure, des Français insouciants assis sur les quais de Seine, ou en balade dans des sentiers, dans les rues, se promenant par beau temps de manière habituelle comme c’est le cas lors de week-end ensoleillés. Pourtant, peut-on parler comme ce fut le cas, d’indiscipline généralisée ?

En réalité, l’élément sur lequel on pourrait concentrer notre attention en vue d’expliquer le phénomène, pourrait être celui de l’injonction paradoxale. Ce concept à été mis en avant par le courant de l’École de Palo Alto dans les années 50. L’injonction paradoxale est une requête qui contient deux éléments contradictoires du style ordre/contre-ordre. Exemple: « Soyez libre ! » « Soyez vous-même ! » Comment se sentir libre ou être soi-même en recevant un ordre ? 

Ici, l’injonction paradoxale pourrait se trouver dans la décision du gouvernement de maintenir les élections municipales. Alors que la consigne du confinement est appliquée, l’Etat maintient les élections municipales et privilégie le temps politique au temps sanitaire. Les effets sur les filtres cognitifs, mis en avant par Witte et que nous soulignons, sont évidents. Comment prendre au sérieux les mesures d’évitement des relations sociales lorsque dans le meme temps, on encourage à aller voter et donc à contrevenir au principe même d’évitement social ? L’impact sur le facteur appréciation de la gravité de la menace a pu être grandement affecté par cette injonction paradoxale. Tout comme l’appréciation des mesures/solutions apportées par le message a pu être compromis. Message dont l’efficacité proposée à pu elle aussi être franchement diminué par le maintien des élections, tout comme le processus d’appréciation de crédibilité de l’émetteur des mesures/solutions

L’EXPOSITION MÉDIATICO-POLITIQUE DES DÉBATS SUR LA CHLOROQUINE: UN AUTRE FACTEUR DE BIAIS IMPORTANT

Les débats qui agitent tant le monde médiatique, que politique, mais aussi scientifique, sur l’usage d’une molécule présentée comme prometteuse d’un coté, et générant méfiance et prudence de l’autre, peuvent egalement avoir un impact sur le respect de la mesure de confinement, mais aussi sur la futur préparation au déconfinement » . En effet, les débats (la chloroquine est efficace VS attendons de voir si c’est efficace) peuvent troubler les perceptions et impacter les filtres cognitifs. Il peut y avoir des impacts notables sur le processus d’évaluation de la menace par exemple.

Il peut y avoir des impacts sur le processus évaluation de sa propre vulnérabilité face à la menace

Il peut y avoir des impacts sur le processus auto efficacité face à la menace. C’est ainsi que l’on a pu observer, ces derniers jours, des dérives avec des intoxications médicamenteuses dues à des pratiques d’automédication vis-à-vis de la molécule en question. On retrouve ici des croyances renforcées tant sur les risques qui seraient perçus comme finalement moins graves d’une part parce qu’il existerait un médicament efficace, que sur les croyances en soi d’autre part (je vais prendre ce médicament, je sais ce qu’il faut faire). En portant des débats d’habitude confidentiels (tout le monde ne s’intéresse pas aux chocs des idées et aux protocoles en médecine en temps ordinaire sauf cas exceptionnel comme en bioéthique) à portée d’opinion, les dérives et les impacts sur les filtres et les calculs, tant individuels que groupaux, sont susceptibles d’être impacté défavorablement.

Sans prendre parti pour l’un comme pour l’autre n’étant pas médecin, chacun en réalité est dans son rôle, et un certain équilibre est finalement tenu. Une partie du pôle médical vise un protocole perçu comme prometteur, et le gouvernement fait montre de prudence extrême.  Cet équilibre, avant tout « posturel » permet, peut-être inconsciemment, de neutraliser ou du moins réguler, une possible vague qui pourrait être excessivement optimiste au sein des « masses » et qui pourrait être problématique en réduisant les vigilances. Les spécialistes de la question du VIH ont pu noter, à titre d’exemple, des relâchements dans les vigilances de certains groupes apres des annonces positives face à des traitements probables efficaces. Ici, un risque similaire n’est pas improbable ou impossible.

CONFINEMENT ET DÉPARTS EN VACANCES? LA NOTION DE PLAISIR DANS LE PROCESSUS COGNITIF

Que dire, de certains Français qui prévoiraient de partir en vacances en plein confinement? Là encore, plutôt que de parler d’indiscipline, il vaut mieux aborder le phénomène sous l’angle des sciences. (La mise en garde a été prononcée par le ministre de l’Interieur mais on ne sait pas encore si le cas se présente ou non)

Ainsi, Rodgers met sur pied la « Protection Motivation Theory » en 1975, avant Witte. C’est lui qui met en lumière cette notion de calcul cout/benefice quant à l’acceptation ou non du message et des règles. Ainsi, les conduites peuvent également donc s’aborder sous l’angle du rapport avantage/inconveniant évalué par l’individu, le plaisir devenant un critère central dans le processus de prise de décision vis-à-vis du respect du message.

LES « QUARTIERS » (ZONES DE RELÉGATION)

Je voudrais terminer sur la question des « zones de relégation » (quartiers, cités, banlieues, zip…).  Je voudrais souligner qu’il n’est pas possible de faire un état des lieux général, en particulier sur ces zones, à propos du respect ou non des consignes données. Un travail quantitatif sera peut être effectué par la suite, mais pour le moment, nous ne sommes pas encore en mesure de nous positionner sur ce plan.

LES ZONES DE RELÉGATION NE SONT PAS HOMOGÈNES

Aussi, évoquer « les quartiers » est globalement sans valeur, voire grotesque. Il faut en finir avec le mythe du facteur mystérieux qui serait propre à toutes les zones de relégations de France, et qui homogénéiserait et synchroniserait toutes les conduites, toutes actions et toutes les manières d’être. On ne peut pas affirmer que « dans les quartiers » plus qu’ailleurs, on ne respecte pas les mesures de confinement. On peut constater une désobéissance dans telle ou telle « cité » et constater un respect des mesures dans une autre.  Dans une zone de relégation, il y a, comme ailleurs, une multitude de profils : il y a des hommes, des femmes, des populations juvéniles, des individus plus âgés, des personnes peu qualifiées, d’autres hautement qualifiées, des intellectuels comme des profils intellectuellement plus modestes et ainsi de suite. 

Qui plus est, « les quartiers » ne sont pas non plus des zones elles-mêmes homogènes. Dans nombre de « cités », il existe généralement des zones dans les zones. Toutes les « cités » ne sont pas des réserves homogènes peuplées de jeunes qui déambulent partout dans les rues en cherchant des brouilles à tout le monde. 

UNE RELÉGATION STRUCTURELLE QUI PEUT AVOIR UN IMPACT SUR LES MESSAGES ET LES FILTRES COGNITIFS

En revanche, les zones de relégation souffrent de certains états objectifs, chroniques, qui peuvent agir de manière défavorable sur certaines populations vis-à-vis du message relatif au confinement. L’isolement structurellement organisé des zones de relégation, peut avoir un fort impact par exemple sur la perception de l’autorité légale. Il ne fait jamais bon vivre lorsque des individus sont parqués dans des zones d’exclusion. Le rapport à l’autorité risque donc d’être défavorablement affecter et biaiser le message en agissant sur le facteur appréciation de la source du message.

Qui plus est, la perception médiatique et de l’opinion est globalement peu flatteuse vis-à-vis de ces zones et de ses habitants. Lorsque l’on évoque les zones de relégations, ce n’est généralement que pour évoquer des déviances (vols, violences, « islamisme », misogynie, communautarisme, trafics…). 

NE PAS CONTRÔLER LES « QUARTIERS »: L’ABANDON SUPPLÉMENTAIRE EN PÉRIODE DRAMATIQUE

Politiquement, le traitement est lui-même particulier. Si elle était confirmée, l’intervention de Laurent Nuñez relayée par le Canard enchaîné et qui invite à ne pas contrôler dans les quartiers sous le motif de ne pas encourager des émeutes potentielles, mérite d’être interrogée au regard des grossiers stéréotypes qui en découlent. À l’heure où il y a quelques mois Macron promettait plus de « République » dans ces zones oubliées, la recommandation semble malheureusement aller dans un sens contraire. J’avais abordé la question dans un précédent billet https://oser-penser.fr/discours-du-president-sur-le-separatisme-islamiste-le-18-fevrier-2020/ C’est ainsi que le filtre appréciation de la source des messages peut-être ici biaisée de manière défavorable. Parler de crainte d’émeutes, c’est miser sur une violence naturelle des populations qui résident dans ces zones. C’est en outre ne pas protéger comme les autres les populations qui y vivent. 

Les propos tenus par le secrétaire d’État, pourront légitimement laisser penser que finalement le non-respect des consignes de confinement supposé dans ces zones n’est pas bien grave, ou du moins, moins nécessaire qu’ailleurs et tant pis pour l’ensemble des populations qui y vivent. D’ordinaire, ces zones sont déjà mises à l’écart tant géographiquement, que culturellement et économiquement. Si, en plus, elles sont abandonnées par les pouvoirs publics qui ne se soucient pas de la santé des populations qui y vivent, les représentations tant individuelles que groupales risquent d’être franchement affectées. Le risque de voir les messages de confinement compromis est conséquent !

CONCLUSION

Les modèles présentés ici sont loin d’être exhaustifs. Il ne s’agit que d’une introduction. Le champ de recherche dans le domaine du traitement cognitif des messages est extrêmement vaste et les théories également nombreuses.

Comprendre le traitement psychologique, social et cognitif des messages est infiniment plus instructif que parler d’indiscipline. Les références à la morale ne sont jamais très productifs ni éclairants. L’apport scientifique de ces disciplines peut eclairer les acteurs décisionnels quant aux mesures appropriées à prendre.

Les sciences humaines ont une structure fondamentalement différente des sciences dites « exactes » et biologiques. Lesquelles, et cela est à espérer, retrouveront un interet plus grand aux yeux des politiques concernant le financement et la recherche au vu de la crise que nous traversons .

Cela dit, il est à espérer également que cette crise, génère une prise de conscience des acteurs politiques sur, non pas La science mais sur les sciences. Aussi bien sur l’aspect fondamental qu’appliqué, et aussi bien sur les sciences du vivant que les sciences humaines et sociales. C’est l’articulation des sciences qu’il faudra repenser et non pas juste un secteur ou un aspect (intérêts les plus immediats et les plus rentables), comme la loi dite de « programmation pluriannuelle de la recherche » le laissait supposer.

Tout comme cette crise ne cesse de nous le rappeler en bien des aspects, c’est ensemble et non séparément, que l’action et la pensée doivent tendre pour être efficace.

J’espère pour ma part avoir pu contribuer, à travers ce billet, à rendre ce confinement plus instructif en ouvrant des pistes de réflexion.

Prenez soin de vous.

EL BAHAR Redwane


Bibliographie

ALLEN Mike, WITTE Kim, « Une méta-analyse des appels à la peur, implications pour les campagnes de santé publiques efficaces », Questions de Communication, 5, 2004, pp. 133-135.

BLONDET Jerôme, GIRANDOLA Fabien, « Faire « appel à la peur » pour persuader? Revue de la litterature et perspectives de recherche », L’Année Psychologique, vol.116, 2016, pp. 67-103.

CHABROL Claude, « L’interaction et ses modèles », Connexions, 57, 1991, pp. 41-54.

CHABROL Claude, RADU Miruna, Psychologie de la communication et de la persuasion, De Boeck, Coll. « Ouvertures Psychologiques », 2008.

DOLLAR John, MILLER Neal E., « Personality and psychotherapy: an analysis in terms of learning, thinking and culture », New York, McGraw-Hill, 1950.

GIRANDOLA Fabien, « Peur et persuasion: Presentation des recherches (1953-1998) et d’une nouvelle lecture », L’Année psychologique, 2000, pp. 333-376.

GUÉGUN Nicolas, Psychologie de la manipulation et de la soumission, Dunod, coll. « Psycho Sup », 2014.

JANIS Irving, « Effects of fear arrousal on attitude change: Recent developments in theory and experimental research, in BERKOWITZ, Advances in experimental social psychology, 3, 1967.

JANIS Irving, MANN Leon, Decision making; a psychological analysis of conflict, choice and commitment, New York, The Free Press, 1977.

HOVLAND Carl Iver, JANIS Irving, KELLY Harold, Communication and persuasion: psychological studies of opinion change, 1953.

LEVENTHAL Howard, TREMBLY Grevilda, « Négative Emotions and Persuasion », Journal of Personality, 36, 1968, pp. 154-168.

MADDUX James, RODGERS Ronald, « Protection motivation and self-efficacy: A revised theory of fear appeals and attitude change », Journal of Experimental Social Psychology, vol. 19, Issue 5, 1983, pp. 469-479.

WATZLAWICK Paul (dir.), Une logique de la communication, 1967, Seuil, Coll. « Points essais« .

WITTE Kim, « Fear control and danger control: A test of the extended parallel process model » Communication Monographs, 61, 1994, pp. 113-134.

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.