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Interdire le « salafisme » : peut-on sérieusement interdire une impression ?

La proposition pourrait faire sourire si elle n’était pas sérieuse. Pourtant, elle émane d’un ancien premier ministre qui propose d’interdire le salafisme pour lutter contre le terrorisme…Cette « proposition » illustre trois choses:

  • La terminologie que nous utilisons (islamisme, fondamentalisme, radicalisme…) ne renvoie que vers des impressions.
  • Tant que le radicalisme n’aura pas de signification claire, neutre et objective, l’étude de l’activisme violent restera à l’état embryonnaire étant donné qu’on ne sait pas ce que cela veut dire.
  • Notre fascination à rechercher des causes strictement exogènes (islam, immigration, salafisme, islamisme…) pour expliquer les maux de notre société et notamment le terrorisme et l’activisme violent.

Au risque de surprendre, le salafisme tel qu’il est entendu dans un sens commun, politique et/ou médiatique n’existe pas. Je ne dis pas que le « rigorisme religieux »  qui mène ou non à la violence est un mythe, mais imaginer que des individus s’identifient et se nomment eux-mêmes « salafistes » est une chimère. De la même manière, imaginer que des mosquées se revendiquent publiquement ou secrètement « salafistes » est également un fantasme. Il y a bien des individus qui se sont, certes, réclamés des « salafs » ( les « salafs » représentent les proches prédécesseurs du prophète de l’islam) en France à travers des attitudes ascétiques, mais ces revendications n’ont jamais été répendues ou uniformisées. L’ascétisme religieux en France lié à une pratique islamique ne date pas d’hier. Dans les années 80, la « grande mode » pour les convertis ou ceux qui se trouvaient une soudaine ferveur religieuse était de séjourner 40 jours au Pakistan : Coran, turban, pantalon court, barbe, djellaba, siwak dans la bouche, parfum à bille dans les poches, chaussettes de cuir… Il y avait une volonté d’imiter la vie du prophète, pour autant la référence aux « salafs » n’était ni automatique ni particulièrement généralisée.

Interdire un groupe constitué autour d’un noyau dur et identifié comme « Forzane alizza » par exemple, qui avait été dissous sous la présidence de Sarkozy était par contre tout à fait possible et réaliste, y compris juridiquement : le groupe avait une existence objective ! D’ailleurs, l’opération fut rapide et se fit avec succès.

Le salafisme, dans son usage de masse actuel, n’est qu’un mot plus ou moins récent qui remplace progressivement les termes vieillissants d’intégrisme, de fanatisme ou de fondamentalisme. On comprend d’ailleurs mal la différence entre un fondamentaliste et un salafiste. Ces qualificatifs n’existent que dans l’esprit de ceux qui possèdent le pouvoir de nommer : aucun activiste violent ou adepte d’une forme de rigorisme religieux ne vous dira qu’il est un salafiste, un fondamentaliste ou un islamiste. Ces termes signifient tout simplement chez leurs utilisateurs un « islam pas bien ». Sans plus de précision. Imaginer le salafisme comme un ensemble d’individus ou de groupes parfaitement constitué, identifié avec des structures concrètes est totalement absurde.

Etant donné que le salafisme réside pour nous à l’état d’impression, il est difficile de lutter physiquement contre quelque chose de vague. Comment définir le salafisme ? Par des habitudes vestimentaires : turbans, pantalons au-dessus de la cheville et djellaba ? Une telle manière de se vêtir est-elle illégale ? Non. Par des pratiques isolationnistes : un entre-soi religieux, social, cultuel et culturel ? Est-ce illégal ? Non. Par une volonté de s’en tenir à une parfaite imitation du prophète ou de ses compagnons ? Dès lors qu’il n’y a pas d’attitude allant à l’encontre de la loi, est-ce interdit ? Non.

La proposition de lutter contre le salafisme est non seulement grotesque mais farfelu. Si par salafisme, l’ancien ministre sous-entends une manière de se vêtir, de s’isoler et d’adopter un mode de vie supposé être ascétique sans qu’il y ait de conduite illégale, alors la proposition est intenable. Si par salafisme il entend terrorisme, alors forcement il faudra lutter contre, et proposer d’interdire les groupes terroristes… En voila une proposition incroyable…

Cela reste néanmoins toujours plus facile que de chercher des implications sociales et économiques à l’activisme violent en France. Valls avait à l’époque d’ailleurs appelé cela des « excuses » sociologiques, psychologiques etc., alors que des extraits du rapport IFRIqui sera disponible dans son intégralité le 10 avril (« 137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice ») montre la réalité de ce que je nomme dans mes travaux des « constantes » comme l’origine sociale et géographique, le niveau scolaire, l’errance professionnelle, la pauvreté…

Il est toujours plus facile d’attribuer une cause exogène à la violence ou à nos maux : c’est la faute de l’islam qui contient les germes de l’antisémitisme et tant pis si l’islam est une religion sémitique. C’est la faute de l’islam qui contient les germes de la violence sociale et tant pis si la grande majorité de la population musulmane de la planète n’est pas violente, et tant pis si cet ensemble comprend et applique l’islam comme un vecteur de paix, même si chaque musulman prononce le fameux « allahou akbar » à travers ses prières quotidiennes 270 fois par jour.

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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