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Radicalisme et radicalisation en France et en Europe: des erreurs analytiques importantes.

La question du radicalisme et de la radicalisation est dans tous les esprits depuis plusieurs années. Elle agite les sphères politiques, médiatiques, collectives et scientifiques. Elle est une sorte de catalyseur qui génère de nombreux discours. Certains travaux sont réellement intéressants et entament des analyses rigoureuses ( F. Khosrokhavar [1. KHOSROKHAVAR Farhad, radicalisation, 2014 et le jihadisme, 2015. ], R. Liogier [2. LIOGIER Raphaël, Le mythe de l’islamisation. Essai sur une obsession collective, 2012; Le complexe de Suez. Le vrai déclin français (et du continent européen), 2015.]  pour citer les plus récents)  d’autres sont complètement farfelus, partiels et/ou partiaux (E. Zemmour, M. Onfray,  M. Boutih et son rapport récent [3. BOUTIH Malek, Génération radicale. ] …) et ne visent dans la plupart des cas qu’ un succès commercial ou pire ils sont le fruit d’incompétences souvent cumulées.
A travers cet article, je souhaite pointer du doigt certaines insuffisances, erreurs et des biais analytiques cruciaux qui nuisent à la réflexion et qui vont bloquer très en amont la prise en compte, l’observation et l’analyse du problème que ce soit au sein des travaux scientifiques ou non.

  • Un travail de déconstruction inexistant: pas d’analyse sémantique ni conceptuelle.

On ne rencontre que peu de travaux de déconstruction du radicalisme donc du concept de radicalité qui se place pourtant en amont.
Cette posture qui vise d’abord à interroger la radicalité est primordiale. Pourquoi? Parce que avant de définir le radicalisme et la manière dont on se radicalise (et toutes les questions qui vont avec: ou? quand? pourquoi…), il faut d’abord prendre conscience, observer, interroger et comprendre les bornes normatives qui permettent l’évaluation de telles ou telles pratiques comme étant « extrêmes » ou non. Or dans la majeure partie des travaux en sciences humaines et dans les débats qu’ils soient médiatiques ou politiques, tout se passe comme si ce qui serait radical serait évident. Tellement évident qu’on ne juge jamais nécessaire de revenir dessus. C’est une grossière erreur.
En définitive, il n’y a pas de posture qui viserait à interroger les bornes normatives de la notion de radicalité qui, je le rappelle, évoque quelque chose qui serait excessif. Lorsque nous évoquons le RADICALisme ou encore l’EXTREMisme, à quelle(s) norme(s) de référence faisons nous appel? Tout ce qui est excessif l’est forcement par rapport à quelque chose. Si je dis: « c’est trop loin » cela sous entend: par rapport à, au regard de. Par exemple trop loin par rapport au temps que j’ai devant moi, trop loin par rapport à mes capacités etc. Si l’on retourne sur le problème qui nous intéresse, par rapport à quoi un élément peut-il être définit comme étant radical ou extreme? Par rapport aux références islamiques elles mêmes? Je doute que les savoirs collectifs, politiques ou médiatiques les maitrisent à ce point et les considèrent comme une norme. Par rapport au juridique? Non, puisque nous sommes capables de changer la loi pour faire entrer dans l’illégalité certaines pratiques (surtout musulmanes d’ailleurs) qui étaient jusqu’à là permises. Ainsi en 2004 la loi sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école venait interdire ce que la loi jusqu’alors permettait (à savoir, le port du voile à l’école).  Et qu’entend t-on d’ailleurs par « radical »? Certains évoquent « une posture qui retourne aux racines« , d’autres « quelque chose de trop, d’excessif« . Il faut absolument reprendre toute cette terminologie floue et volatile.

Déconstruire la notion de radicalité c’est commencer par s’interroger soi-même. C’est mettre en lumière les notions d’identité (nous), d’altérité (eux) et d’ipséité (moi).

  • La création d’une altérité  fantasmée.

Cette absence d’interrogation sur la terminologie et les concepts entraîne la création d’une altérité artificielle, antagoniste et souvent extérieure ou dit autrement, la création d’un autre que nous, au potentiel de culpabilité infini. En effet puisque nous éliminons consciemment ou non, la phase qui vise à d’abord nous questionner sur nous même, il devient plus simple d’accuser l’autre et de focaliser les crispations sur lui. La création de cette altérité imaginaire est une erreur qui fausse d’emblée le reste de la réflexion.

  • Une terminologie floue reprise sans complexe.

L’absence d’interrogation sémantique dans les travaux et les débats génère et entretient les ambiguïtés: tout se passe comme si des mots tels que islamiste, islamisme, salafiste, salafisme, radicalisme, extrémisme, fondamentalisme et tous les autres néologismes (islamo-fascisme…) seraient tellement évidents qu’il n’y aurait guère besoin de les définir. Or c’est précisément le contraire: ces mots n’ont aucune évidence définitionnelle et même aucune définition réelle.
Les discours deviennent pathologiques du fait d’une absence de définition commune. X et Y vont discuter en utilisant des termes clés qui auront peut être pour l’un comme pour l’autre comme pour Z simple auditeur, des significations différentes sans que personne n’en soit conscient.

  • La dictature du présent ou l’impossible ontogenèse.

Autre insuffisance: le fait social (le radicalisme, la radicalisation…) n’est analysé que sous l’angle à partir duquel il se présente ou qu’à partir de la manière dont on le présente.
C’est là encore une erreur pourtant tellement visible. Il n’ y a que peu de travaux de (re)mise en contexte ou de comparaison et donc aucun recul. Il faut absolument faire un travail d’ontogenèse (mot compliqué qui signifie simplement: étudier le développement de quelque chose, de ses origines et causes possibles) du problème en question qui va permettre de le saisir dans ses développements, dans ses contextes, dans ses milieux, dans ses origines et dans ses mutations. Agir en partant du problème tel qu’il est à l’instant « T » ou tel qu’il est présenté, c’est se laisser guider par l’émotionnel et la facilité. C’est aussi se laisser imposer des obstacles inutiles.

  • L’islam comme point de départ: l’erreur de la facilité.

De fil en aiguille, ces biais vont faire en sorte que c’est de l’islam dont on va partir pour penser le problème du « radicalisme » et de la « radicalisation ». C’est à nouveau une erreur. C’est encore une manière de designer l’autre comme responsable et point de départ mais aussi, d’exprimer son peu de goût pour la réflexion.
Étant donné que nous nous sommes épargnés un travail d’interrogation de la notion même de radicalité avant de se pencher sur le radicalisme, étant donné que nous sous sommes épargnés une réflexion sur nous même, puis sur les termes que nous utilisons et les réalités auxquelles ils revoient, puis, étant donné que nous méditons un phénomène sous le ronronnement tant de la paresse que de l’autosatisfaction qui nous empêchent un regard global le moins aliéné possible, il devient donc presque logique de déboucher sur cette nouvelle  erreur. Qui plus est, c’est une erreur qui rassure car elle nous conforte dans le fait que le problème réside bien chez l’autre et pas chez nous ou en nous. En outre, il est plus agreable et facile  « d’accuser » un élément déjà construit et tout fait.
Entendons-nous bien, questionner l’islam quant à ses impacts dans le problème qui nous intéresse n’est pas blâmable. Au contraire, c’est interroger une hypothèse. En revanche, il est plutôt aisé de comprendre qu’en science comme dans la vie en général, la quête « du secret » donc d’une certaine manière, de la vérité ultime qui résiderait en un endroit bien précis (dont facilement identifiable et immuable), est une chimère. La quête du secret, c’est surtout l’incarnation de la paresse, de l’étroitesse intellectuelle et cognitive et surtout, une atrophie des sens qui ne permet pas de comprendre que la vie est un éternel mélange tant de complexité que de simplicité, je ne dis pas simplisme, qui se combinent mais qui ne sont jamais seuls. La quête du secret, c’est ne pas avoir compris cela. Partir de l’islam pour expliquer les dérives et contradictions humaines c’est vouloir s’épargner les efforts de la réflexion et designer une chose toute faite.
En réalité partir de l’islam c’est éviter de partir de nous même et toute la procédure décrite ici va dans ce sens.
Partir de l’islam c’est expliquer que tel verset du Coran au contenu violent, relatif bien souvent à des passages que l’esprit médiocre et paresseux n’aura pas compris car s’épargnant l’effort de la maîtrise des disciplines (droit musulman, théologie, histoire, anthropologie…),implantera chez tous les musulmans de la planète, le germe de la violence. Partir de l’islam pour expliquer le radicalisme c’est ne pas comprendre que quelle que soit l’injonction ou le conseil, jamais celui-ci, quel qu’il soit, ne sera interprété et compris de la même manière par tous les récepteurs. C’est ne pas avoir compris que l’homogénéité des lectures et des comportements n’existe pas.

  • L’absence de posture introspective

L’absence de posture introspective, c’est ne pas voir que les individus mis en question (radicaux) ne sont pas exogènes vis à vis de nos sociétés mais sont issus d’elles. Elles ne sont pas le fruit de l’islam. Lorsque l’on évoque les affaires du voile ou relatives à la laïcité, on entend souvent que les personnes concernées doivent s’intégrer ou retourner dans les pays qui sont les leurs, sauf que nous parlons de français, nés en France. Il ne s’agit pas de touristes ou d’étranger.
C’est aussi ne pas voir que notre propre système occidental, moderne, post-moderne, post-industriel capitaliste, hyper-moderne, appelons le comme il nous siéra,  est à lui même, sans avoir besoin de l’islam, générateur de violence, d’injustice ou d’inégalité.
Le système du bonheur par la consommation est à bout de souffle. Un système qui encourage le « je » sans « l’autre », l’absurdité du bonheur par la possession si possible compulsive et la contradiction de la liberté par l’aliénation du travail comme vecteur d’émancipation ne peut évoluer sans generer d’aberrations. D’ailleurs, l’existence de ce que je nomme « des constantes sociales » (il existe aussi des constantes psychologiques que je n’évoque pas ici) chez les individus se radicalisant sous l’image de l’islam (jeunes, souvent issus de la classe pauvre ou moyenne basse, capacité de consommation faible ou réduite à son maximum, issus de l’immigration…) accrédite l’idée d’une « agression du social » et de dérives dans les comportements (délinquance, violence…) liés à elle et qui précédent l’adhésion des individus à l’islam.

Prenons les romans de Zola, par exemple. Ils décrivent remarquablement les débuts et dérives d’une société capitaliste, nouvellement industrielle et certains méfaits qui l’accompagnent: exploitation, misère, violence, drame, déchéance,  soulèvement, rébellion… Ces conditions se sont transformées aujourd’hui. Elles n’ont plus les mêmes formes ni les mêmes impacts directs fort heureusement, mais il serait illusoire et bien naïf de croire que ces impacts auraient disparus. Cependant, dans les romans de Zola, est-ce l’islam qui fut à la source des violences?
D’une manière identique, même si les individus que nous souhaitons étudier actuellement se réclament subitement et souvent tardivement de l’islam, peut-on raisonnablement croire que les comportements socialement déviants qui sont les leurs (trafics, drogue, délinquance, violence…) sont le fruit de l’islam? L’islam est une variable qui arrive tardivement et qui sert de moyen de substitution à quelque chose de défaillant. Voir l’islam comme l’élément premier c’est être incapable de prendre de la hauteur et d’avoir une vision à long terme qui dépasserait 5 minutes.

CONCLUSION

Il est impératif de parer aux insuffisances et biais analytiques évoqués, non de par un ordre ou une méthode particulière, là n’est pas mon souhait, mais simplement par une prise de conscience dans un premier temps. Le reste suivra. Je ne promeut ni voie, ni méthode car ne crois ni en l’une ni en l’autre.
Je doute bien souvent de ce qu’il m’est amené à constater de par l’aspect évident de ce qui se porte à mes yeux ou mon esprit. Mais finalement, peu importe l’évidence. Si je la constate, je l’interroge quand même et s’il y a une quelconque insuffisance, je tente d’y répondre avec les moyens qui sont les miens.
La question du radicalisme est une question complexe qui ne peut trouver de développement cohérent sans posture introspective et surtout pas en concentrant son regard suspicieux sur l’autre. Elle doit aussi interroger nos savoirs, nos concepts et notre terminologie. L’homme vit par le groupe qui préexiste à lui. Sans lui, il ne peut survivre. Il le nourrit, l’habille, lui enseigne. De là, il se crée forcement des relations d’interdépendance multiples. C’est le propre des relations humaines. Si je veux interroger un quelconque problème relatif à l’homme, j’interroge tous ses éléments: moi, nous, eux. Interroger « nous » sans « eux » est impossible, « eux » sans « nous » également et « moi » sans « nous » ni « eux » encore moins.

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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