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Le radicalisme: un phénomène bilatéral.

Penser l’insécurité en France liée aux attentats implique une prise de hauteur incontestable ainsi qu’une réflexion large qui prenne en compte le phénomène dans son ensemble. Les pensées médiatiques, politiques et collectives ne focalisent généralement que sur la dimension micro selon la logique, très sommairement, d’une information sélective qui détache le fait social de sa globalité, une information en chassant une autre. Les politiques sont soucieux des médias et de l’opinion, les médias sont soucieux de l’opinion et du politique, et l’opinion s’abreuve auprès des médias et des politiques. Etablir une conclusion est plutôt simple.

Dans le même temps, l’accent est principalement mis sur la lutte mais pas ou peu sur la compréhension du phénomène. Comprendre est un travail de longue haleine, qui nécessite encore une fois du recul, de la patience, de la rigueur et du temps or, le temps du chercheur n’est pas le temps du politique, des médias et de l’opinion qui n’ont ni les mêmes objectifs ni les mêmes intérêts. Vouloir déployer un arsenal juridique, militaire, policier pour lutter contre un phénomène qui s’impose à nous (attentats) sans pour autant en comprendre les origines, les mécanismes, les rouages, les dynamiques, les sensibilités, les forces, les faiblesses, les causes, les conséquences, les acteurs, s’apparente à de la gesticulation désordonnée et désespérée. La gestion immédiate est certes une nécessité mais elle doit s’accompagner d’une vision à moyen et long terme.

Nous allons, à travers plusieurs articles, tenter de mettre en avant quelques éléments qui peuvent orienter la recherche et la compréhension du phénomène violent vers une dimension plus meso et macro pour une prise en compte mécanique plus globale. C’est aujourd’hui sur le phénomène de « bilatéralité » que nous voulons nous concentrer. Bilatéralité entre un radicalisme supposé être exogène et nos sociétés occidentales supposées être les réceptacles malheureux et passifs de ce « radicalisme » violent.

En qualifiant de « barbare » les actes commis lors des attentats, il y a en arrière plan l’idée que de tels agissements ne peuvent venir que d’ailleurs. Ils seraient le fait d’un problème extérieur, externe, étranger. C’est au passage ce que signifie étymologiquement le terme « barbare ». Or penser de cette manière, c’est de facto occulter ou ne pas considérer certaines dynamiques internes. Le phénomène de violence lié à ce que nous appelons le radicalisme est en réalité communiquant, multiple, complexe et surtout bilatéral: il agit sur nous, nous agissons sur lui et inversement avec effet de feedback.

Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement qu’il n’a rien d’essentiel. Il ne sort pas comme par magie du sol, il n’est pas naturel au sens premier du terme, il n’est pas génétique (propre aux arabes ou aux musulmans par exemple). Nous imaginons souvent un bloc maléfique (Daesh, Al Qaida…) et un bloc neutre voire sain (Occident, pays industrialisés…) lequel se verrait imposer la sauvagerie des premiers. Daesh est le fruit de la déstabilisation du Moyen-Orient par les États-Unis en 2003. C’est le prétexte mensonger, fallacieux et imaginaire, aujourd’hui définitivement avéré comme tel de l’administration américaine pour renverser Saddam Hussein sous prétexte de lutte contre le terrorisme et pour retrouver Ben Laden qui constitue l’un des principaux éléments déclencheur du mouvement terroriste. Même si le processus est plus complexe et s’inscrit dans une dynamique plus élaborée (cf Philippe Migaux dans « Le jihadisme. Le comprendre pour mieux le combattre »), le processus de déstabilisation de l’Irak reste l’élément clé. Les influences occidentales relatives par exemple à l’émergence de mouvements comme « les frères musulmans » sont indiscutables (lutte contre le colonialisme, contre la pensée capitaliste…). Idem pour Al Qaida. Imaginer ces mouvements comme naissant dans des matrices supposément être hermétiques du monde arabe ou musulman vis-à-vis du monde environnant est incorrect. Ne pas prêter attention à ces rapports entre les multiples éléments, c’est déjà ne pas comprendre certaines dynamiques, certains rôles, certains leviers, certains acteurs, certaines scènes. Au contraire, l’occultation de cela c’est favoriser l’émergence d’une explication strictement exogène, souvent simpliste et essentialiste telle que l’aspect « moyenâgeux » des autochtones sauvages du monde arabe et de leur religion barbare encourageant les comportements violents et sanguinaires comme le souligne bien le sociologue B. Etienne :

Il faut tout d’abord s’interroger sur la pertinence de la formule réduite du mot « Islam » surtout dans sa version agressive, versus Occident. Cette réduction induit l’appréhension systématique d’une religion conçue comme un bouillon d’inculture, un système homogène et clos depuis quatorze siècles sur un espace qui va de la Chine à l’Afrique, en passant par l’Europe et les USA. Dans sa version d’acteur sur la scène internationale, « Islam » en tant qu’espace culturel et géopolitique est remarquablement présentée comme un, uniforme et moniste, donc totalitaire puisque totalisant.

Daesh, c’est aussi la déstabilisation française (ou occidentale pour les plus généraux) de la Libye. C’est l’intervention française précisement qui à permis l’installation de Daesh dans ce pays ou du moins sa montée en puissance. Installer militairement l’anarchie dans un pays n’a rien d’anodin et imaginer que cela se fera sans conséquence est utopique. La plupart des phénomènes d’action engendre des phénomènes de réaction. Vouloir à nouveau sous-estimer ou denier les conséquences de nos actions politiques quant à l’évolution de tel ou tel phénomène ou pire, en affirmer les effets bénéfiques (BHL sur la Libye http://laregledujeu.org/2015/04/29/21112/sur-la-libye-bernard-henri-levy-ne-regrette-rien/ M. Albright sur le demi million d’enfants morts de par la guerre du Golf https://www.youtube.com/watch?v=lbLCY4iHDRE , projet de loi de l’UMP sur la colonisation et ses effets bénéfiques http://www1.rfi.fr/actufr/articles/071/article_40087.asp ) c’est là aussi une volonté de se détacher de nos propres responsabilités et vouloir continuer de voir le phénomène comme fruit des sauvages dont nous serions les jouets, victimes de leur cruauté et de leur bestialité avec en trame de fond la centralité, la supériorité et l’innocence de nos civilisations.

Autre exemple: les évolutions juridiques et sociales sur la laïcité depuis 2004. Elles ont aussi un impact sur le phénomène. D’ailleurs, les acteurs violents qu’ils soient internes ou récepteurs (français, européens), ou externes ou émetteurs (Daesh…) mettent souvent en avant ce motif: la laïcité stigmatisante. En effet depuis son évolution en 2004, celle-ci, ainsi que le démontre très pertinemment le sociologue et historien spécialiste de la laïcité Jean Bauberot, s’est faite exclusivement contre les musulmans à travers une forme accrue de mise au ban sociale et d’exclusion en raison des pratiques religieuses qui sont les leurs. Il a fallu changer la loi en 2004 pour pouvoir faire entrer dans l’illégalité certaines pratiques musulmanes autorisées auparavant. Bauberot n’hésite pas à parler de « laïcité falsifiée » et F. Baroin pourtant instigateur de ce projet évoque une « nouvelle laïcité« . S’il y a une ancienne et une nouvelle, c’est bien que la nouvelle marque une rupture et un changement. A titre d’exemple pour évoquer un cas actuel, on parle encore aujourd’hui et bien qu’il n’existe aucune forme de problème factuel ou social quel qu’il soit relatif à ce fait, d’interdire le voile à l’université sans raison.

Enfin, les actes terroristes ou illégaux (départs vers les théâtres de guerre…) sont, dans bien des cas en France, les agissements de français ce qui laisse entrevoir un problème non « d’infiltration » ou de « contamination par un agent pathogène externe » mais un problème social ou national. L’interne réagit à l’externe et le contraire également.

A l’image de l’ethnologue Frederik Barth et des autres théoriciens de la notion d’ethnicité qui ont bien démontré l’aspect non homogène des frontières « ethniques » et culturelles mais aussi les dynamiques qui entraînent un aspect transitoire et adaptatif de ces dernières, il est illusoire et meme au -delà de ça, complètement désuet de penser, plus encore dans un monde globalisé, un intérieur hermétique net et homogène et un exterieur hermétique net et homogène lui aussi.

Dans « Théories de l’ethnicité », Poutignat et Streiff-Fenart sur la lancée de Barth, démontrent en profondeur l’aspect tres fluctuant des appartenances (ethniques, nationales, culturelles…). Les acteurs pouvant en solliciter plusieurs selon divers motifs, selon divers processus, selon des logiques qui peuvent être internes aux groupes ou externes (aux USA, on peut revendiquer des appartenances italiennes, irlandaises, polonaises, agir activement au sein de la communauté et à d’autres moments ou dans le même temps revendiquer une appartenance nationale américaine très forte et affirmée).

Cette idée du « nous » et « eux » comme valeur strictement exclusive et imperméable est indéfendable. Daesh n’hésite pas à jouer sur les exclusions sociales, économiques, culturelles, les frustrations des individus (auteurs potentiels d’actes violents) dans les pays occidentaux pour attirer de nouveaux adeptes qui ne sont meme pas obligés de passer par la case Syrie ou Irak. Point au combien ironique, ces communications, ces porosités et ces dynamiques des identités et des groupes, Daesh les a parfaitement comprises alors que nos conceptions restent figées dans le passé, fantasmant une société francaise assimilationniste, un monde homogène bien clair et bien cloisonné.

En réalité, il s’agit d’un problème politique et social plus que civilisationnel. Ce qui laisse comprendre que les idées tristement pathétiques et autres inepties de politiques ou journalistes complètement dépassés http://www.lepoint.fr/politique/fillon-estime-qu-une-forme-de-guerre-mondiale-est-engagee-24-07-2016-2056553_20.php sont incorrectes et reflètent une vision myope et passéiste du problème. Daesh ne fait que semer sur une terre fertile. C’est le capitalisme dégénéré et dérégulé avec ses impacts multiples (G. Lipovetsky, M. Clouscard…) l’individualisme poussé à outrance et la compétition développée à son paroxysme (A. Ehrenberg), la stigmatisation des uns face à d’autres sur fond paradoxal d’égalité et de fraternité, le chômage, le développement d’un avenir de moins en moins assuré économiquement (R. Castel) et ainsi de suite qui constituent le terreau fertile de Daesh. Coulibaly espérait un coup de pouce de Sarkozy pour trouver un job http://www.leparisien.fr/grigny-91350/amedi-27-ans-rencontre-sarkozy-cet-apres-midi-15-07-2009-580211.php , Merah souhaitait rejoindre les rangs de l’armée française http://www.liberation.fr/societe/2012/03/21/mohamed-merah-a-tente-deux-fois-de-s-engager-dans-l-armee_804710 et les frères Kouachi cherchaient à s’intégrer dans le monde professionnel http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/01/09/01016-20150109ARTFIG00041-les-freres-kouachi-des-gamins-inoffensifs-qui-ont-passe-six-ans-en-correze.php …

Penser la problématique des attentats implique une pensée globale, vive, réactive, qui ne se sclérose pas dans des postures moralistes essentialistes et qui ne se soucie pas des voies et des courants. Il ne s’agit pas d’une problématique relative à la simple notion d’altérité mais d’une pensée qui englobe en plus les notions d’identitéS et d’ipséitéS selon des logiques dynamiques. Comprendre les processus relatifs à la vie et aux comportements ne se fait jamais à travers des catégories artificielles qui figent et donnent l’impression de circonscrire le complexe et le changeant. Enfin penser les attentats comme logique strictement exogène et spatialement identifiable dans un monde globalisé dans lequel bien des frontières (économiques, culturelles, commerciales…) ont été abolies est improbable et improductif.

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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