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Violences au Moyen-Orient : derrière les mots, derrière les images.

Alors que la fièvre de l’information est retombée, nous avons souhaité revenir sur le traitement politique et médiatique des violences au Moyen-Orient. Plus précisément, nous avons souhaité revenir sur l’ambiguïté de la construction des discours, qui met en évidence des dysfonctionnements, aussi bien dans le fond que dans la forme.

L’ensemble de ces dysfonctionnements, souvent teintés d’un désir d’objectivité, abouti à une transformation des faits et à la construction de stéréotypes qui façonnent la réception du discours, dont les Palestiniens sont majoritairement les victimes.

De la même façon, d’un point de vue politique et diplomatique, ces dysfonctionnements semblent donner naissance à un véritable blocage empathique vis-à-vis des Palestiniens, ainsi qu’à un immobilisme qui les pénalise sévèrement depuis au moins 40 ans.

Quels sont ces dysfonctionnements ? Quels en sont les effets ? Comment se construisent-ils ? Analyse des procédés, des mots, des images et des conséquences ou effets.

1) L’ absence de contextualisation : seule la violence est mise en avant.

Les récits médiatiques ne se plient généralement pas à l’exercice de contextualisation. Or, la situation au Moyen-Orient se rattache à une multitude de contextes : politiques, géopolitiques, humains, sociaux, énergétiques, diplomatiques, sanitaires, juridiques, immobiliers et bien d’autres, qui dépassent la simple énergie de la passion qui semble animer les acteurs en place.

Lorsqu’il existe une contextualisation, c’est globalement une contextualisation à très court terme qui ne fait que souligner les évènements récents, en rapport avec une flambée de violence. Pour faire simple, la contextualité se limite à « qui a entamé les hostilités ?« . La presse écrite se montre souvent plus précise que la presse télé et que les chaines d’information en continu, mais elle est déjà beaucoup moins lue que les chaines en question ne sont regardées. Mais généralement, l’ensemble des récits médiatiques se cantonne à la simple mise en évidence de la violence.

En outre, cette mise en évidence de la violence est plutôt sélective. Les colonisations et expropriations israéliennes sur les Palestiniens, si elles se font sans réaction violente de ces derniers et la dans la passivité, sont plutôt passées sous silence médiatique. C’est à dire que les violences politiques du gouvernement israélien ne donnent pas d’ordinaire lieu à une couverture médiatique conséquente ou remarquable.

Cette absence de meta contextualisation tend finalement à ne souligner que les réactions des populations palestiniennes déjà sous pression et particulièrement sensibles, donnant l’impression d’un Etat Israélien paisible, constamment menacé par la violence intrinsèque des Palestiniens sujets aux « intifadas » et autres manifestations agitées.

Une contextualisation multidimensionnelle permettrait une compréhension plus juste du phénomène et tendrait à souligner des problématiques palestiniennes complexes et bien plus pragmatiques, liées à des enjeux davantage matériels et relatifs à la dignité humaine (accès aux ressources hydriques, énergétiques, aux médicaments, à la liberté de mouvements…) que liées à de simples oppositions basées sur des revendications patriotiques ou religieuses, quand elles ne sont pas qualifiées tout simplement d’antisémites ou d’islamistes.

Enfin, un rappel contextuel complet soulignerait en fin de compte une politique israélienne du mauvais côté de la justesse et de la justice si l’on prend le droit international comme élément de référence. Or, les médias et les acteurs politiques tendent à traiter les deux camps sur un plan d’égalité, comme si chacun des deux camps avait un pouvoir décisionnaire similaire et d’égale puissance, d’égale importance. Pourtant, si l’on porte le regard sur le nombre de morts des deux cotés, ainsi que sur la nature des victimes (civils, femmes, enfants, hommes, militaires…), on peut difficilement constater une quelconque égalité. Même chose si l’on porte le regard sur l’indice de développement humain des deux camps et qu’on établisse une comparaison… La proximité de la pauvreté avec la richesse, de l’abondance avec le manque, de la liberté avec la restriction, à l’image de la situation israélienne avec la situation palestinienne, ne peut tendre que vers une mise en tension, à terme, des opprimés sur les autres. 

Pour faire simple, y a  une « excitabilité » accrue des Palestiniens qui est montrée, mais rarement expliquée dans les discours depuis plus de 30 ans.

2) Le désir de neutralité dans le récit politique et médiatique du conflit : une égalité inéquitable.

Tout au long de nombreuses années, le traitement du conflit par les médias de masse s’est fait sur une égalisation du récit. Les récits médiatiques et politiques ont tenté de mettre sur un même plan les actions palestiniennes et israéliennes, ainsi que les moyens utilisés. L’impression qui en ressort est celle d’une « guerre » entre deux forces armées. Or, ce n’est pas juste. Cette euphémisation tend à minimiser le fait que ce conflit oppose une armée (israélienne) à des civils (palestiniens). On peut toujours voir le Hamas comme un groupe armé, mais ce n’est pas une armée au sens institutionnel et étatique. Ce sont des civils qui ont pris les armes en réponse à une dimension méta, méso et micro-contextuelle pénalisante pour la population palestinienne, principalement de Gaza.

2.1) « Tsahal » vs les « islamistes du Hamas » : une terminologie orientée. Euphémisation pour les uns, hyperbolisation pour les autres.

2.1.1 Du côté israélien

Par exemple, nombre de récits médiatiques font de le choix d’user du terme « Tsahal » pour évoquer les forces militaires de l’Etat hébreu. Le procédé est ambigu pour les récepteurs des messages politiques et médiatiques non hébréophone. En effet, d’une part, il ne permet pas d’évoquer clairement l’armée, et d’autre part, il y a une forme d’euphémisation à travers une dénomination qui raisonne presque comme un « surnom », donnant une teinte sympathique ou familière aux forces armées en question, un peu comme le feraient les Américains en parlant de leurs soldats en évoquant avec une certaine affection les « boys« .

On peut également lire et entendre « Israël contre le Hamas ». Le procédé est la aussi trompeur et permet d’attenuer le fait que les actions ou réactions de l’État hebreu, à travers sont armée, vise une population civile.

Idem pour la politique israélienne. Elle est souvent évoquée avec une terminologie tolérable ou du moins, qui possède une ressemblance, ou qui présente une forme de parallèle démocratique, avec la nôtre. On parlera de mouvements de droite ou même d’extrême droite, qui au passage, qui ne semble plus être un complexe en Europe ou en France. Alors que dans le même temps, la presse et les acteurs politiques n’hésitent pas à parler de « régime », non sans un accent de délégitimation, pour qualifier nombre de gouvernements du monde arabe.

Aussi, rarement dans les médias de masse, on évoque la politique racialiste d’Israël, son aspect discriminant à l ‘égard des Arabes, ou encore sa politique séparatiste qui tend à faire de cet État une ethnocratie. Pas plus que l’on évoquerait « les forces coloniales israeliennes« , ou encore « les forces d’invasion israéliennes« , ou même « l’occupation civile israélienne » pour évoquer les populations qui s’emparent des maisons des Palestiniens expulsés: Les termes sont épurés. D’une part, cela tend à générer :

  • Le maintien d’une perception démocratique et moderne donc légitime de l’Etat hébreu, par contraste avec les dérives régulièrement soulignées dans la presse des pratiques des gouvernements et populations musulmanes.
  • L’établissement et le maintient d’une posture perçue par les producteurs de discours comme objective et qui tend à naturaliser les rôles et à les légitimer, donc à les enfermer.

2.1.2 Du côté Palestinien

Dans le même temps, les qualificatifs vis-à-vis des activistes palestiniens  sont souvent chargés d’une terminologie plus connotée. C’est ainsi que l’on insistera sur les « islamistes » du Hamas ou « les radicaux » du Hamas, ou encore « les terroristes » du Hamas. Certes, le Hamas a visé ou vise encore une population civile israélienne, mais l’armée israélienne ne fait que cela avec une efficacité 10 fois plus grande que celle du Hamas. Le nombre d’enfants palestiniens morts est terrifiant. Pour autant, il n’y a pas de qualificatif péjoratif pour l’armée israélienne, la police lorsqu’il s’agit de maintien de l’ordre, ou de la politique de l’Etat hébreu.

Cet aspect des choses tend à tirer vers le haut les actions du Hamas et à relativiser celles de l’État d’Israël jusqu’à faire croiser les courbes d’intensité les actions des deux groupes. Ce n’est qu’au carrefour des deux courbes que les discours se construisent. Cela n’est ni juste, ni objectif.

2.2) Euphémisation et hyperbolisation des moyens et des armes utilisées.

De la même façon, au sein des discours, les armes utilisées des deux cotés sont mis sur un même pied d’égalité en terme de puissance de destruction ou d’impact, en dépit du fossé technologique qui les sépare. La sophistication des armes ou des moyens utilisés par la police ou l’armée côté Israël est rarement soulignée. Les armes sont évoquées de manière presque habituelle, dans des phrases passe-partout.

La politique de punition collective appliquée par le gouvernement israélien sur les Palestiniens est régulièrement soit passée sous silence, soit peu développée par les récits politiques ou médiatiques, quant le terrorisme aveugle sur des civils israéliens a été longtemps mis en évidence. 

En revanche, il est massivement question de « roquettes palestiniennes » ou du Hamas. Certes, il faut bien nommer les projectiles envoyés, mais on attire rarement l’attention sur l’aspect longtemps artisanal  et rudimentaire des armes en question, même si de nos jours elles semblent, en effet, se moderniser. Ces roquettes donnent l’impression de missiles guidés et performants, alors que pendant des années, les moyens étaient tellement rudimentaires que ces roquettes envoyés depuis Gaza retombaient sur Gaza même.

Finalement, on retrouve un procédé assez ressemblant quant au traitement médiatique des violences dans les quartiers et autres banlieues en France. On retrouve une militarisation des termes concernant les moyens utilisés par les acteurs troublant l’ordre public au sein de ces zones. C’est ainsi qu’on retrouve de plus en plus l’usage du terme « mortier » ou « tirs de mortiers » pour évoquer des feux d’artifices lancés sur les autorités. L’usage de ce terme tend à rendre plus violent les moyens troublant l’ordre public dans ces zones. Les objectifs qui repondent à cette volonté sur nombreux et nous ne les evoquerons pas ici. Mais, même si le feu d’artifice use bel et bien d’une technique de propulsion similaire au mortier, personne ne dira qu’il va voir les tirs de mortier d’artifice du 14 juillet.

3) Les Palestiniens : des « homo islamilis » avant tout.

Dans la continuité de ce que nous venons de souligner, l’empathie diplomatique, politique et médiatique semble bloquée de par un procédé qui tend vers une islamisation excessive du contexte palestinien au sein de récits politiques et médiatiques. Les désirs et besoins primaires sont éclipsés comme par exemple l’accès à l’eau, à l’électricité et le besoin de se déplacer.

En effet, des années de traitement journalistique, en France par exemple, nous invitent à penser les problèmes que peuvent connaitre les populations musulmanes d’ici et d’ailleurs, sous le prisme exclusif de l’islam et de la religion. Les adeptes de la religion islamique sont médiatiquement et politiquement moins vus comme des humains que comme des « homo islamilis » voire des « homo islamilistes«  : tout passerait par le filtre de l’islam chez les fidèles musulmans, que ce soient les désirs, les pensées, les aspirations, la vie quotidienne, la vie publique, privée, la vie familiale, professionnelle, les rêves, la vie individuelle, la vie sociale… Les Palestiniens ne semblent pas échapper à ce procédé de déshumanisation. Finalement, seule compterait leur soif de djihad et leur haine d’Israël qui n’aurait au passage, aucune autre explication que l’antisémitisme. Tant pis si les Arabes sont sémites aussi…

3.1) Le djihadisme : une notion occidentale floue qui bloque les processus de comprehension et d’identification vis-à-vis des Palestiniens.

3.1.1 Une resistance interdite.

La notion de résistance palestinienne peut presque surprendre tellement cette notion est absente des discours médiatiques et politiques occidentaux. Pourtant, elle est une problématique légitime.

Même si la notion de terrorisme et de résistance est toujours une question de camp et de point de vue, le Hamas est exclusivement perçu et présenté comme un groupe terroriste. La question n’est bien évidemment pas la légitimation des actes ou non par le Hamas, mais l’interprétation que les médias et les acteurs politiques occidentaux ont de l’existence même de la notion de résistance palestinienne.

Au sein des discours diplomatiques, politiques et, moins directement médiatiques, il y a l’idée que c’est par le dialogue que les actions doivent être menées au Moyen-Orient. Pourtant, la résistance armée n’est pas toujours condamnée dans les discours. C’est ainsi que certains d’entre-eux ont particulièrement usé d’une terminologie soutenant les combattants kurdes face aux combattants de « l’Etat Islamique ». Ainsi, dans le journal « Le Monde« , Gérard Chaliand, Patrice Franceschi et Bernard Kouchner publient une tribune intitulée « Les valeurs des combattants de Kobané sont les nôtres« 1Le Monde, mardi 6 janvier 2015, p14.. Ils y soutiennent l’action armée, voire la résistance, face aux assaillants de l’ISIS.

La lutte armée face aux forces d’occupation israélienne est perçue, au sein des discours politiques et médiatiques, comme marquée par le sceau du « djihadisme« . Or, évoquer le « djihadisme « , c’est évoquer une violence automatiquement illégitime et condamnable. Le résultat du flou de notre terminologie (Djihadisme, salafisme, islamisme…) conduit à répercuter ses insuffisances sur les Palestiniens, placés par conséquence dans le mauvais camp.

Certes, le djihad est bien évoqué par certains groupes palestiniens partisans de la lutte armée pour légitimer et évoquer leurs actions, pour autant le « djihad » et le « djihadisme » ne sont pas à mettre sur un même plan. L’un possède une valeur quasi-anthropologique et l’autre une valeur morale qui, dans son usage, renvoie vers une derive.

3.1.2 Le djihad, une valeur anthropologique ?

Il y a de quoi surprendre là aussi.

Le combat armé dans la théologie islamique devient légal face à l’agression ou face à l’atteinte à l’intégrité du territoire ou des populations. Pour autant, est-ce là une spécificité islamique ? De la France au Japon, en passant par l’Afrique du Sud, toutes les nations visent la défense de leur territoire en cas d’atteinte à celui-ci, d’ou son coté anthropologique, c’est-à-dire universel. Les uns l’appellent « défense du territoire« , les autres « djihad« , d’autres parleront de « devoir« , de « sacrifice pour la nation« , de ceci et de cela. Seuls les termes changent, le principe, lui, reste le même.

Cela pourra certes surprendre le lecteur habitué aux charges morales négatives accolées d’ordinaire à la terminologie islamique, mais le djihad ici s’inscrit dans la mobilisation d’arguments (dont le carburant est ici religieux) visant à défendre une population et ou un territoire, en réponse à une agression externe. Si l’on se positionne vis-à-vis d’un élément normatif à visée large, le droit international par exemple, on peut légitimement et légalement évoquer des agressions israéliennes sur l’intégrité des territoires destinés aux Palestiniens et sur les population palestiniennes. Cela ne signifie pas que la mobilisation de l’argument « djihad » soit bonne ni même mauvaise, mais qu’elle s’inscrit dans une forme de cohérence vis-à-vis de nos pratiques à tous. La sociologie étant une science visant à rechercher des symétries dans les pratiques humaines, il faut se demander si nous n’avons pas, un jour agit de manière similaire face à une situation semblable contre un envahisseur voisin… Évoquer le « djihadisme » est sans aucun doute une erreur.

En outre et enfin, l’islamisation des besoins et des revendications, tend à générer un blocage emphatique, car cette perspective s’oppose d’une part à notre conception de la laïcité séparant politique et religieux, et d’autre part à la dynamique de sécularisation présente au sein des sociétés occidentales, rendant plus faible l’influence religieuse.

Aussi, il est plus facile pour les médias et les politiques de se sentir une certaine proximité avec Israël en tant qu’Etat moderne, avec les territoires palestiniens perçus comme mus par une idéologie islamiste. L’exemple du geste du maire de Nice Christian Estrosi est une illustration intéressante. C’est ainsi qu’il a fait hisser le drapeau d’Israel à côté du drapeau Français à la mairie, en soutien face « à un acte terroriste commis contre une grande démocratie » comprenez l’Etat hébreu. Les palestiniens eux, sont cantonnés au rôle de l’agresseur, dont les actes demeurent aussi incomprehensibles qu’illégitimes : https://www.lefigaro.fr/politique/conflit-israleo-palestinien-estrosi-se-justifie-apres-avoir-fait-hisser-le-drapeau-israelien-sur-sa-mairie-de-nice-20210519

Image tirée du tweet de Christian Estrosi le 15 mai 2021
https://twitter.com/cestrosi/status/1393634562983477256?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1393634562983477256%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.lefigaro.fr%2Fpolitique%2Fconflit-israleo-palestinien-estrosi-se-justifie-apres-avoir-fait-hisser-le-drapeau-israelien-sur-sa-mairie-de-nice-20210519

3.2) Des besoins humains et primaires effacés.

3.2.1) Le cas de l’eau et des ressources.

En étant perçu comme des « homo islamilistes« , l’aspect humain des Palestiniens tend donc à s’effacer en deplacant le curseur vers le tout religieux.

Le problème de l’accès à l’eau (nous insistons dessus, car il est un des problèmes clé) est passé sous silence. Entre Israël et les territoires palestiniens, le problème de l’eau est en réalité premier, comme il le serait pour n’importe qui. Israël s’approprie les ressources hydriques à son avantage et en restreint drastiquement son usage aux territoires palestiniens. D’ailleurs, cette appropriation est une des explications stratégiques de l’occupation de terres palestiniennes par Israël. Penser les colonisations israéliennes en réponse « aux actes terroristes du Hamas » c’est là aussi, penser les évènements de manière naïve, mais aussi binaire. On comprendra d’ailleurs que la solution à deux Etats est une perspective compliquée, car il est peu probable qu’Israël se sépare d’une ressource stratégique pour elle, qui plus est déjà rare, en la transférant aux Palestiniens.

Son accès par les populations palestiniennes est un droit fondamental certes, mais surtout un besoin primordial à tout groupement humains. 

Idem pour l’accès aux énergies dont Israël à longtemps été le gestionnaire. À Gaza, les coupures d’électricité peuvent attendre 22 heures par jour y compris pour les hôpitaux, et cela, depuis de nombreuses années. Sans électricité et sans eau, la situation devient extrêmement instable à tout point de vu : sanitaire, sociale, médicale, humaine…

En évoquant uniquement le Hamas (en tant que vitrine de la résistance en Palestine), ou en réduisant l’existence du Hamas sous le prisme d’un groupe terroriste d’islamistes radicaux issus de la branche armée des frères musulmans aux motivations strictement djihadiste, c’est l’ensemble des besoins naturels et humains  des palestiniens qui sont passés sous silence au détriment du religieux et, encore une fois, cela génère un blocage emphatique vis a vis de la situation palestinienne 

4) La mobilisation d’images stéréotypées : une souffrance presque banale et une violence qui immunise contre l’empathie.

4.1) Bruno Etienne étudie les images médiatiques sur l’islam et les musulmans : des images essentiellement péjoratives.

Au début des années 2000, le sociologue Bruno Etienne étudie les couvertures des unes des hebdomadaires français à propos du sujet « islam ». Il montre que des images stéréotypées et répétitives sont souvent mise en avant pour illustrer les situations qui évoquent l’islam ou le Maghreb, deux éléments perçus sous le seul prisme quasi-exclusif de la violence et de la menace :

« L’approche de l’aire islamique qui prévaut dans les médias que j’ai analysés (une dizaine d’hebdomadaires français depuis 1990 et quelques étrangers depuis 2001) se caractérise par l’accumulation de clichés répétitifs. »

Puis, il poursuit plus loin :

« Certaines couvertures sont une véritable fabrique du regard sur l’Autre. La position des corps musulmans est assez significative d’une intention complexe de donner à voir. Une dizaine de couvertures d’hebdomadaires (mais bien plus de photos à l’intérieur) montrent quatre possibilités de visibilité des musulmans : 

– les fesses en l’air (photo de musulmans en prière vus de dos), en une foule accroupie faisant bloc et dans un état de soumission 

– des rassemblements compacts, gens qui défilent menaçants et hurlants 

– des femmes voilées (dix-huit couvertures dans la période, dont certaines avec une forme d’ironie suspecte) 

– enfin, un individu barbu, illuminé, bouche ouverte, yeux écarquillés, parfois brandissant une arme. »

Étienne, Bruno. « La fabrique des regards », La pensée de midi, vol. 9, no. 3-1, 2002, pp. 90-102.

4.1.1 La représentation des palestiniens à travers les images : la violence et l’agitation avant tout

Aujourd’hui la presse écrite s’est essoufflée face à Internet et aux chaines d’info en continu. Néanmoins, les stéréotypes longtemps utilisés par la presse écrite sont les mêmes : Palestiniens cagoulés jetant des pierres, Palestiniens défilant en tenue noire et portant une Kalachnikov, un bandeau noir ou vert autour de la tête portant des écritures arabes, l’index levé vers le ciel, foule en colère criant Allah Akbar…

Toutes ces images très évocatrices et répétées dans le temps, renvoient vers une immuabilité de la violence qui sévit dans ces territoires, et principalement des Palestiniens. Les cagoules, l’aspect juvénile des individus photographiés ou filmés, les pierres, les armes, toutes ces images sont intériorisées et constituent presque un référentiel cognitif dont il sera difficile de se débarrasser étant donné leur sollicitation récurrentes par les médias. 

Qui plus est, l’homogénéisation des messages médiatiques concernant le monde arabe et, plus encore musulman, rend difficiles les distinctions. Hamas palestinien, Hezbollah Libanais, frères musulmans d’Egypte, Al Qaida en Afghanistan, les ayatollahs en Iran : le point commun dans les images exposées, c’est la violence religieuse et la soif de djihad. Peu importe si les régions different et que les réalités contextuelles aussi.

Il est ainsi difficile de manifester une quelconque empathie face à des images qui ne renvoient que vers une expression de violence perpétuelle, nous rappelant en outre « le djihadisme » qui s’attaque à nos sociétés occidentales. Peu importe le contexte passé sous silence : ces images semblent montrer la violence voire la haine de la jeunesse palestinienne à l’égard d’Israel.

4.1.2 Une souffrance exposée sous un angle toujours identique : une désensibilisation à l’arrivée

4.1.2.1 Les femmes, les hommes et les enfants en images

De la même façon, la souffrance des Palestiniens est egalement court-circuitée par des images habituelles qui mettent en avant non plus une violence immuable, mais une souffrance immuable. 

Ces images stéréotypiques génèrent une forme de réactance2CHABROL Claude, MIRUNA Radu, Psychologie de la communication et de la persuasion, Deboeck, coll. « Série LMD », 2008, 314 p. (résistance ou immunisation) à la souffrance de l’autre par habituation. C’est ainsi que depuis une trentaine d’années voire plus, on montre des images de femmes palestiniennes, voilées, d’un certain âge, au milieu de ruines poussiéreuses, les mains sur la tête, impuissante, le visage dégageant une douleur tres extériorisée, les yeux levés vers le ciel, pleurant la mort d’un enfant, d’un mari ou la destruction d’une maison, la bouche grande ouverte semblant expulser bruyamment une douleur sans nom.

Une femme se tient devant l’immeuble détruit qui abritait les médias AP et Al-Jazeera, à Gaza, le 16 mai 2021. (ADEL HANA / AP / SIPA) vu sur le site de France Info ici: https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/conflit-israel-palestine-l-article-a-lire-pour-comprendre-les-enjeux-derriere-l-escalade-militaire_4628255.html

La photo ci-dessus a été également publiée le même jour sur le site du journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/16/israel-palestine-nouveaux-bombardements-meurtriers-a-gaza-le-domicile-du-chef-du-hamas-vise-par-l-armee_6080356_3210.html

Il y a donc la mise en lumière de photos stéréotypiques dans le temps, mais aussi sur de multiples canaux, c’est-à-dire avec une résonnance accrue.

Une femme palestinienne en pleurs après l’expulsion de sa famille de son appartement à Silwan, un quartier près de Jérusalem-Est par des colons israéliens le 10 juillet 2019
afp.com/AHMAD GHARABLI vu sur le site de l’Express https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/apres-une-longue-bataille-judiciaire-des-palestiniens-expulses-de-leur-maison-par-des-colons_2088957.html

On voit aussi parfois des hommes hurler, poussiéreux, tachés de sang, parfois portant précipitamment un corps sans vie, souvent jeune, les membres ballants, vers un « hôpital » ou une ambulance.

Un Palestinien porte un des quatre enfants palestiniens tués sur une plage par une frappe israélienne
REUTERS/ Mohammed Talatene; vu sur le site l’Express https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/video-quatre-enfants-palestiniens-tues-ils-ont-couru-droit-a-la-mort_1559990.html
La scène ici se deroule en Syrie non en Cisjordanie ou à Gaza.
Pendant les funérailles de trois garçons tués dans un raid israélien à Gaza, le 21 août 2014 (AFP / Roberto Schmidt) vu sur le site de l’AFP ici : https://making-of.afp.com/la-mort-lecran-editer-les-images-dhorreur
Parfois, une même image est reprise des années plus tard avec deux interprétations différentes d’une même émotion.

Sur les images qui suivent, le site de France Info en 2012, évoque en légende de cette photo : Un Palestinien célèbre l’adoption par l’ONU d’une résolution accordant à la Palestine le statut d’Etat observateur, le 29 novembre 2012 à Ramallah (Cisjordanie). (MARKO DJURICA / REUTERS)

https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/l-onu-accorde-a-la-palestine-le-statut-d-etat-observateur-non-membre_178715.html

Capture d’écran du site France Info. 07/06/2021

Puis en 2016, le site RT France titre :  » #PalestineIsHere : colère sur Internet après la suppression par Google de la Palestine de ses cartes« , laissant alors supposer que l’homme ci-dessous est en colère ou symbolise une colère.

https://francais.rt.com/international/24876-palestineishere-colere-internet-suppression-google

Capture d’écran du site RT France le 07/06/2021

Dans tous les cas, les images mettent toujours en évidence des émotions fortes et presque excessives, qu’elles soient positives ou négatives. Elles semblent, perpétuellement et d’une certaine façon, souligner un coté quasi hystérique derrière lequel les peines, les joies et les souffrances se confondent pour donner naissance à des êtres guidés uniquement par leurs émotions débordantes. Difficile de trouver un côté raisonnable à des personnes qui ne font que hurler sur la grande majorité des clichés exposés.

Les images mettent aussi en évidence de jeunes enfants hagards, seuls, presque sans âmes, eux aussi poussiéreux, vêtus de guenilles ou de vêtements sales et troués déambulant parmi les ruines et les gravats presque sans but, les cheveux en bataille, l’oeil éteint.

Un enfant à Gaza, le 21 mai 2021. (EMMANUEL DUNAND / AFP). Vu sur le site de France Info le 07/06/2021 : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/nous-sommes-un-peuple-de-martyrs-a-gaza-le-retour-a-la-vie-apres-l-entree-en-vigueur-du-cessez-le-feu_4633577.html
Une photo publiée sur le site de LaDepeche.fr le 30/12/2008, https://www.ladepeche.fr/article/2008/12/30/514852-sous-bombes-israeliennes-enfants-gaza-vivent-peur.html
Said Khatib AFP

La récurrence de ces images tend à naturaliser et normaliser leur souffrance qui n’émeut plus. Nous les avons regardés pendant des années au journal de 20h au cours du repas. Il y a une intériorisation des images et des symboles qui, en definitive, semble presque normaliser les rôles par « étiquetage ».

Cependant, ce genre de traitement médiatique de l’image par le stéréotype n’est pas spécifique aux Palestinien. Il y a de bonnes probabilités que si l’on évoque l’Ethiopie ou la Somalie, on pense à famine…

5) Islamisation des motivations palestiniennes et politisation des motivations israéliennes : une perspective inversée

Pour terminer, nous tenions à évoquer une inversion toute particulière. Alors que les Palestiniens aspirent à un accès aux nécessités premières, nous avons vu tout au long de ce billet qu’il y a, dans nombre de messages médiatiques, une islamisation de ces requêtes.

Dans le même temps, alors que les gouvernements israeliens évoquent un droit à la défense ou à la securité et sont régulierement présentés comme défendant ces objectifs, on occulte la dimension religieuse, et plus récemment messianique3Cf: ENDERLIN Charles, Au nom du temple. Israel et l’irresistible ascension du messianisme juif (1967-2013), Seuil, 384 p. des objectifs politiques. Aussi, on remarquera que :

  • D’une part, les motivations ou bases religieuses du sionisme (visant à récupérer entre autres, « Eretz Israel », c’est-à-dire le grand Israel biblique) sont sous-exploitées par les producteurs de discours.
  • D’autre part, l’exmple de l’influence des mouvement millénaristes juifs n’est que rarement évoqué alors que son impact est important.

CONCLUSION

Nous aurions pu poursuivre l’analyse plus loin et évoquer d’autres facteurs tout aussi influents et structurels. Ainsi, le rôle de l’Histoire et l’impact du sentiment de culpabilité de certains pays européens portant une responsabilité dans le massacre de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ont pu générer un certain silence face à la politique israélienne.

De la même façon et de manière davantage micro-contextuelle, le ressentiment négatif de certains acteurs politiques et de certains pays vis-à-vis de l’islam en Europe, peut également expliquer un positionnement favorable vis-à-vis de l’Etat d’Israël, avec en feed-back un silence approbateur quant au sort des Palestiniens. Le cas de l’Autriche en est une bonne illustration.

D’un point de vue journalistique, la presse écrite semble montrer un traitement plus « honnête » de la situation au Moyen-Orient à travers un meilleur travail de contextualisation. Néanmoins, le travail en question comporte des faiblesses sérieuses. En effet, la contextualisation est excessivement compartimentée et tend à ne montrer que « fragments d’explications » qui ne peuvent restituer la situation globale. Exemple : des articles sur les expropriations israéliennes, d’autres sur la nature des conflits à propos des sites religieux etc.

Cette manière de procéder fragmente la « réalité » quotidienne, notamment des population palestiennes qui, en bout de course, se trouvent privées d’une approche compréhensive du point de vue de l’analyse, et d’une approche emphatique d’un point de vue humain.

Quant au traitement des « médias de masse », notamment télé, radio, internet, il s’articule autour d’une forme de syncrétisme mélangeant politique, sensationnalisme, profit et populisme. Le résultat est une bouillie « informative », faiblement nutritive, dont le chyle destiné à alimenter la machine à vomir du spectacle médiatique, sera à son tour absorbé par des acteurs passifs qui n’auront pas forcément d’avis sur la question Moyen-Orientale, mais qui seront habitués à des représentations stéréotypées de la réalité. Stéréotypes qui seront réutilisés par les acteurs politiques et médiatiques dans une « ronde de médiocrité » incessante et perpétuelle.

Redwane El Bahar

Doctorant en sociologie, je mène une thèse intitulée : "radicalité, radicalisme et radicalisation en lien avec un contexte islamique en France.

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