Nous allons à travers cet article, tenter de fournir une explication méthodologique qui puisse permettre à un lecteur intéressé d’aborder le Coran.
Le Coran est un des livres qui connaît le plus de succès dans les espaces de vente depuis ces dernières années. Le contexte de cette dernière décennie n’y est sans doute pas étranger. Nombreux sont ceux qui veulent par eux même tenter de connaître l’islam sans passer par un intermédiaire quelconque. L’initiative est salutaire. Dès lors qu’il y a une volonté d’autonomie, je me réjouis toujours d’une telle avancée, sauf si l’autonomie à comme moteur l’arrogance, la précipitation, la paresse ou l’économie des savoirs. Mais la lecture du Coran n’est pas chose aisée et peut en déstabiliser plus d’un. Beaucoup imaginent y trouver une sorte de biographie voire d’autobiographie du prophète de l’islam Mohamed. Cela n’est pas le cas. De la même façon, on ne peut pas lire le Coran à la manière d’un roman. Il n’en résulterait qu’une incompréhension totale et un sentiment de confusion. Le Coran ne raconte pas une histoire.
Il existe 2 préalables à une lecture du Coran: de solides connaissances en anthropologie, en histoire, en langue, en théologie et une méthodologie spécifique.
Ces connaissances en anthropologie ou en histoire sont utiles car elles permettent non seulement une contextualisation (qui n’est pas, comme le pensent beaucoup une forme d’excuse au regard des pratiques morales ou sociales actuelles mais une explication du pourquoi de tel ou tel verset à la lumière de l’histoire), mais aussi une compréhension de certains passages qui resterons obscurs sans les lumières de ces disciplines.
La méthodologie spécifique quant à elle permet une lecture intelligente mais surtout exploitable.
1) LA METHODOLOGIE
Avant toute chose, il est très important de comprendre ainsi que nous le disions plus haut, qu’on ne peut pas aborder le Coran comme un livre classique. Il ne raconte pas une histoire et ne suit pas une trame chronologique cohérente comme nous pourrions la trouver dans un roman. Il s’agit plutôt d’une forme d’aphorismes successifs.
Le Coran est constitué de « sourates » qui peuvent s’assimiler à des chapitres dans un livre conventionnel. Les phrases d’une sourate constituent des « versets ».
1.1) Comprendre ce qu’est le Coran?
Il importe de bien saisir un élément: techniquement, le Coran c’est Dieu parle. Il délivre un message au prophète Mohamed (même si parfois le message s’adresse à d’autres destinataires mais toujours par l’intermédiaire du prophète comme nous le verrons plus loin) via un ange (Gabriel), lequel répète mot à mot le message divin. Le prophète est chargé quant à lui de le répéter aux hommes. J’insiste sur le fait qu’il s’agit pour lui de répéter, non d’interpréter. On parle alors de révélation. Elle s’est déroulée sur une période de 23 ans.
Une fois ce préalable explicité, le second élément important est de comprendre que les versets du Coran sont souvent le fruit, la conséquence ou mieux, la réponse à un événement relatif à un fait en rapport avec le prophète, ses compagnons, sa famille, la communauté, une question qui lui aurait été posée ou une problématique. Dit autrement, ils sont dans bien des cas dépendant d’un contexte très précis. Il en résulte soit des aphorismes, des conseils, des ordres, des leçons, des rappels, des règles de droit, des prédictions du futur, des menaces, des rappels à l’ordre etc.
1.2) A qui s’adresse le Coran?
A tous. Il appelle à la connaissance et à la méditation à son sujet.
Mais, à sa lecture, le lecteur non initié peut être dérouté. En effet, de nombreux passages s’adressent à un « tu« . S’il l’on garde à l’esprit que le Coran c’est dieu qui parle, on peut être tenté de croire que ce « tu » s’adresse à nous qui lisons. En réalité, ce « tu » est Mohamed. Ainsi, une partie considérable du Coran s’adresse à lui. Or, le prophète à un statut théologique et juridique particulier et unique. De ce fait, certains passages ne sont valables que pour lui tandis que d’autres, même s’ils lui sont destinés personnellement sont « meditables » par l’Homme qui peut les appliquer. Exemple:
Et ne foule pas la terre avec orgueil : tu ne sauras jamais fendre la terre et tu ne pourras jamais atteindre la hauteur des montagnes!
Ou encore:
La vérité vient de ton Seigneur. Ne sois donc pas de ceux qui doutent.
Ce passage adressé à la seconde personne du singulier s’adresse au prophète mais constitue un élément moral applicable à tous. Mais d’autres concernent uniquement le prophète au regard d’une situation particulière et ne sont ni universels ni atemporels.
D’autres passages sont plus généraux et s’adressent à des destinataires désignés: « Oh vous les humains », « vous qui croyez » ( les musulmans), passages adressés à la seconde personne du pluriel etc… Ils ont une valeur plus générale, plus atemporelle.
Mais même parmi ces passages s’adressant au général, tous ne sont pas atemporels et il convient de savoir repérer ceux qui le sont de ceux qui ne le sont pas. Seule une connaissance solide de l’ensemble du corpus (Coran: paroles de dieu; hadith: paroles du prophète au sujet du Coran ou de ses enseignements) permet une lecture valide et de savoir faire le tri. Cette connaissance appelle forcément à son tour, pour les lecteurs que nous sommes aujourd’hui, des connaissances périphériques en anthropologie, en histoire, en droit islamique totalement incontournables.
Pour résumer…
-Le Coran c’est dieu qui parle.
-Il s’adresse à plusieurs récepteurs qui peuvent varier (le prophète Mohamed, les croyants, la communauté, l’ Homme en général…) et qu’il faut apprendre à repérer.
-La seconde personne du singulier n’est pas le lecteur mais le prophète Mohamed.
-Les passages du Coran font souvent référence à une situation précise rencontrée par le prophète, sa famille, ses compagnons, ses contemporains, la communauté d’alors, une question posée, une problématique juridique, sociale, militaire… Ils sont donc liés à un contexte.
2) CONNAISSANCES ANTHROPOLOGIQUES, HISTORIQUES, LINGUISTIQUES, THÉOLOGIQUES, JURIDIQUES, SOCIOLOGIQUES…
Leurs acquisitions s’inscrivent sur la longueur. Il est difficile de trouver des éléments relatifs aux pratiques sociales arabes de la période anté ou post islamique comme l’on trouverait une recette de cuisine sur le net. Ce qui me laisse penser que ces acquisitions s’inscrivent soit dans le cadre d’investigations spécifiques, rigoureuses et complexes soit dans le cadre d’une culture générale riche et solide. Sa négation est d’ailleurs un point commun entre ceux que l’on nomme les radicaux et les opposants à l’islam (populistes, laïcards, philosophes de télévision…). Les deux ont exactement la même lecture du texte et semblent vouloir écarter toute forme de complexité.
- 2.1) Importance du facteur linguistique: la traduction induit une perte de sens.
La problématique linguistique revêt une importance extrême. La traduction de l’arabe vers certaines langues, et je prends ici le cas du français, induit une perte massive de substance et de sens. L’arabe se traduit très mal en français. A titre d’exemple, l’arabe renvoie plus vers des concepts alors que le français renvoie vers des images précises. C’est ainsi que « khamr » est traduit en français par « vin » ou « alcool » alors qu’en arabe il signifie « ce qui fait perdre la raison« . La traduction en « vin » est donc mauvaise. Le terme arabe « khamr » pourrait donc inclure aussi les stupéfiants ou les substances modificatrices de conscience.
De la même façon, « islam » renvoie en français à la religion musulmane fondée par Mohamed alors qu’en arabe, « islam » signifie, non pas « soumission » comme le voudrait la coutume qui ne veut voir dans l’arabe que cet autre violent et primaire, mais « accepter« , « se ranger à« , « pacifier« , « suivre« . Il y a l’idée de se ranger à quelque chose qui serait de l’ordre du naturel. Ainsi, lorsque l’islam affirme que Jésus, Moise ou d’autres prophètes antérieurs à Mohamed sont musulmans, beaucoup répondent que cela est impossible du fait que l’islam est né bien après ces prophètes. Or si on considère l’islam non selon une optique traduite en français à savoir religion fondée par Mahomet mais selon le sens originel arabe, on comprend immédiatement l’idée que Jésus ou Moise puissent être musulmans car « se rangeant » aux injonctions divines, les « acceptant« , les « suivant« . Ils sont donc islam. Dans un arabe plus correct: ils sont donc « muslim« . La maîtrise du facteur linguistique est donc indispensable et doit inviter à la prudence quant au sens supposément être évident des éléments ou souvent présentés comme tels.
- 2.2) Importance des connaissances anthropologiques et historiques.
Connaître les pratiques tribales et sociales des arabes de l’époque voire des autres peuples voisins est primordial. Pourquoi? Parce que certains versets ne pourront trouver de sens pour le lecteur qu’à la connaissance de ces pratiques. Ainsi, le verset 8 sourate 81 peut paraître obscure quand le Coran dit:
Quand (…) on demandera à la fillette enterrée vivante, pour quel méfait a t-elle été tuée? »
Ce verset fait référence à une pratique tribale arabe de l’époque de Mohamed qui consistait, lorsqu’un couple avait une fille, à l’enterrer vivante à la naissance. Sans cette information la compréhension est compromise et peut ouvrir la porte à des interprétations erronées voire imaginaires.
Autre exemple faisant cette fois appel plus au contexte historique: la sourate 105 s’intitule l’éléphant et évoque « les gens de l’éléphant« :
« N’as tu pas vu comment ton dieu à agi envers les gens de l’éléphant? »
Comment comprendre une telle phrase? Le verset fait référence à une expédition militaire menée l’année de la naissance de Mohamed organisée par un roi abyssin, lequel souhaitait détruire la Mecque à l’aide d’un éléphant.
Les exemples sélectionnés ici sont simples mais le Coran fourmille de ce type de références anthropologiques ou historiques précises et spécifiques.
Autre point: la violence. Nous avons vu ces 15 dernières années dans les médias se multiplier les « experts » et les « spécialistes de l’islam », des journalistes « éclairés » ou même des « philosophes de télévision » lesquels attestant du caractère ouvertement violent du Coran qui appellerait au meurtre des juifs, des chrétiens, des femmes, des non-musulmans et de toute autre entité dont l’Occident revendique le monopole de la défense . La sourate 4 verset 89 est souvent évoquée (souvent d’ailleurs sans citer les versets antérieurs et postérieurs qui conditionnent cette violence apparente):
88) « Qu’avez-vous à vous diviser en deux factions au sujet des hypocrites? Alors qu’Allah les a refoulés pour ce qu’ils ont acquis. Voulez-vous guider ceux qu’Allah égare? Et quiconque Allah égare, tu ne lui trouveras pas de chemin.
89) Ils aimeraient vous voir mécréants, comme ils ont mécru : alors vous seriez tous égaux! Ne prenez donc pas d’alliés parmi eux, jusqu’à ce qu’ils émigrent dans le sentier d’Allah. Mais s’ils tournent le dos, saisissez-les alors, et tuez-les où que vous les trouviez; et ne prenez parmi eux ni allié ni secoureur.
90)Excepté ceux qui se joignent à un groupe avec lequel vous avez conclu une alliance, ou ceux qui viennent chez vous, le cœur serré d’avoir à vous combattre ou à combattre leur propre tribu. Si Allah avait voulu, Il leur aurait donné l’audace contre vous, et ils vous auraient certainement combattu. S’ils restent neutres à votre égard et ne vous combattent point, et qu’ils vous offrent la paix, alors, Allah ne vous donne pas de chemin contre eux.
A l’image des exemples précédent, ces versets font référence à des instants historiques précis et ne sont pas, ici, atemporels. Le verset en question fait référence à un groupe d’individus ayant déserté l’armée musulmane alors que la petite communauté de fidèles subissait une offensive militaire des opposants au prophète Mohamed. Ce groupe de déserteurs fut intercepté et fait prisonnier. Durant leur détention deux groupes étaient en désaccord quant leur sort: les exécuter pour trahison ou non. Ce verset vient les départager, établir la sanction et fixer dans le temps la conduite à tenir dans le cas d’un comportement similaire. Il s’agit en l’occurrence d’un passage du Coran relatif au droit militaire. Il n’est pas relatif à la vie quotidienne.
- 2.3) Le droit islamique
Ce qui m’amène donc justement à évoquer le droit. Aussi est-il important pour le lecteur de déconnecter son sens analogique et centriste naturel qui vise à faire de ce qui lui est familier la norme universelle. En France, le religieux est séparé du juridique et vice versa (à première vue seulement. L’influence de la religion sur les règles du contrôle social est considérable serait-ce qu’au niveau de la forme). Il importe de comprendre que cette configuration politico-juridique qui est celle de nos pays n’est ni normale, ni allant de soi, ni naturelle, ni bonne ou mauvaise, ni même universelle. D’autres systèmes fonctionnent autrement. Le Coran est autant un corpus théologique que juridique qui aborde et régule aussi bien le social, le spirituel que le droit économique, privé, militaire, familial et autre. Le lecteur ne doit pas s’étonner donc à voir au cours de sa lecture ces éléments se juxtaposant. C’est ainsi que le Coran fixe les droits concernant les témoignages, l’héritage, la guerre, le commerce, le mariage, le divorce, les adoptions et ainsi de suite. Il est donc tout à fait logique de retrouver ce type référence dans sa lecture mais surtout, il importe de savoir repérer ces passages relatifs soit au spirituel soit au juridique. Ainsi, un passage concernant le droit militaire tel que celui que nous venons de mettre en lumière, n’est pas applicable au quotidien dans la sphère sociale. Ce verset n’autorise pas la mise à mort des non musulmans dans la vie du quotidien en territoire musulman. Il évoque le cas des déserteurs en cas de guerre. Une mauvaise lecture induit une mauvaise compréhension. Il importe d’identifier ce qui est lu : est ce un passage relatif aux dogmes ? Au Droit ? De quoi s’agit t-il ?
- 2.4) Le temporel et l’atemporel
Certains passages s’inscrivent dans une immuabilité et sont dogmatiques: ils sont atemporels et ne changent ni en fonction du temps, de l’époque ou des sociétés. Il s’agit par exemple du culte (la croyance en un dieu unique, aux anges, au destin, nombre de prières par jour, Ramadan et ses règles, certains interdits…). Ils constituent la charpente de la religion. Ils ne sont pas modifiables et ne s’adaptent pas aux différents contextes (humain, social, historique…) sauf cas exceptionnels.
D’autres passages sont en revanche « temporels ». Ils correspondent dans le Coran à un contexte ou une situation bien précise. Ils sont ponctuels et conditionnés. Il importe de savoir pour le musulman comme pour le simple lecteur d’en avoir conscience et de savoir les identifier à l’image de l’exemple cité précédemment.
Aussi, l’islam distingue t-il l’immuable et le changeant. Ce changeant, ce qui n’est pas atemporel donc, permet une adaptation aux contextes quels qu’ils soient, dès lors que cette adaptation ne vient pas contrevenir un principe fixé par le dogme.
A ce titre pour plus de détails, nous invitons le lecteur vers l’ouvrage de T. Ramadan à propos de la reforme en islam [1. RAMADAN Tariq, Islam La reforme radicale. Éthique et libération, Presses du Châtelet, 2008, 417 p] et qui se penche sur cette question de l’immuable et du changeant en islam, mettant en lumière les dangers d’une prise en compte insuffisante ou pire d’une méconnaissance de ces deux domaines que sont le temporel et l’atemporel dans les textes.
Pour résumer :
– La traduction implique une perte se sens et un appauvrissement conceptuel important qui dénature le texte.
– La lecture du Coran ne peut se faire sans de solides connaissances anthropologiques et historiques qui viennent éclairer le sens de certains passages.
– Le Coran c’est du religieux, du droit, de l’histoire, des règles de régulation du social. Il importe de savoir les repérer à la lecture.
Pour conclure
Lire le Coran pour tenter de comprendre l’islam ou l’interpréter sans la maîtrise des outils périphériques est une mauvaise approche. Il existe des préalables nombreux qui conditionnent sa lecture.
La notion de contexte, n’en déplaise aux journalistes, aux politiques, aux rigoristes comme aux idolâtres du sens commun et autres simples d’esprit qui n’envisagent la complexité que comme le péché des intellectuels vivants dans un monde déconnecté du « réel », est d’une importance capitale et la lecture du Coran repose en grande partie sur elle. Rigoristes et populistes s’accordent sur sa négation. Le rigoriste à travers une lecture littérale s’adonnera aux excès de zèle et le populiste qui aura la même mécanique de lecture tentera de partir de « l’islamisme » pour expliquer l’islam selon une formule de V. Geisser.
Comprendre l’islam nécessite une approche plurielle, multidisciplinaire, de la patience, du recul mais surtout d’être capable de couper son sens moral et analogique pour une perception plus neutre et sans entrave. Combien de réflexions pourtant prometteuses sont avortées du fait d’une référence en arrière plan consciente ou non à la question du bien et du mal.
Bonjour,
Je me permets de vous contacter pour savoir si vous avez justement des conseils pour accompagner la lecture du Coran, notamment pour replacer les sourates dans leur contexte historique. Des conseils de livres par exemple (excepté les Tafsir), mais qui restent accessibles en terme d’approche et de lecture ? Merci beaucoup pour cet article ! Maryam
Bonjour.
Merci pour votre lecture. Veuillez pardonner, au passage, ma réponse tardive.
Pour repondre à votre question, je n’ai malheureusement pas d’ouvrage spécifique à vous recommander concernant le repositionnement historique des passages du Coran.
Pour ma part, je vous recommande surtout l’approche plurielle d’auteurs, d’ouvrages et de perspectives pour acquerir les connaissances quant à cette recontextualisation : approches théologiques, historiques, anthropologiques etc.
Le processus est certes plus long, mais les savoirs seront plus solides car diversifiés. Néanmoins, les ouvrages sont rarement très « digestes ».